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Le rêve d'un rêve, Chapitre 5 : Diveldange - Moulins

  • StanislasMleski
  • 2 août 2022
  • 11 min de lecture

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Il avait roulé doucement pour traverser la commune, presque furtivement comme un voleur quitte le lieu de son forfait. Au bout de quelques minutes le panneau Diveldange apparut dans son rétroviseur en même temps qu’une onde de bonheur le traversa des pieds à la tête. Il avait réussi à quitter sa prison, il revoyait la vie en couleurs et un rayon de soleil complice éclairait les cheminées d’usine.



Mais il fut en même temps saisi d’une folle angoisse de perdre ce bonheur rêvé depuis si longtemps. Et si l’avocat s’était trompé en affirmant qu’il avait le droit de quitter sa femme ? Il l’imaginait déjà ameuter le commissariat et monter dans une voiture de police à sa poursuite.



Pris de panique il accéléra à fond dans la montée de Diveldange qui aboutissait à l’autoroute. Le moteur de sa vieille Laguna qui n’avait jamais été soumis à un tel effort hurla comme s’il allait exploser, et la caravane tangua au point de se pencher dangereusement sur la route. Il réussit à maîtriser la situation à se garer sur une aire de repos. Son cœur était prêt à lui traverser la poitrine et la berline sentait le brûlé. Il sortit du véhicule pour en faire le tour et s’adressa à sa voiture comme si c’était une amie :


- Et bien ma vieille, on a failli exploser tous les deux . Il faut se rappeler qu’on n’a plus vingt ans et qu’il faut être raisonnable .

Il s’accorda le temps de retrouver sa sérénité, déboucha une Kronenbourg, s’assit sur un banc et respira l’air de la liberté à plein poumons.


Il reprit tranquillement sa route en sifflotant sur ses chansons préférées qui passaient en boucle sur la cassette enregistrée de son magnétophone portable. Il avait quitté l’autoroute après Nancy quand elle était devenue payante et avait emprunté les routes secondaires progressant régulièrement vers le camping qu’il comptait atteindre vers 17 H . Il dépassait Gennetines à quelques kilomètres de Moulins quand il vit que la départementale 979A était bouchée par un camion renversé sur la route qu’une grue mobile essayait de redresser pendant qu’un gendarme recueillait la déposition d’un chauffeur hagard.

Maurice qui n’avait pas la place de passer avec sa caravane s’approcha pendant l’audition du routier que le gendarme enregistrait scrupuleusement :


- Je roulais calmement quand j’ai vu deux filles géantes, très légèrement habillées d’une courte tunique et de bottes qui faisaient du stop en brandissant une pancarte Portugal. Je me suis dit qu’elles étaient sans doute des prostituées comme il y en a beaucoup sur cet itinéraire. Je me suis arrêté, je suis descendu de ma cabine et j’ ai mis la main aux fesses de la première.

Il ajouta ne croyant s’attirer la sympathie virile du gendarme :




- Vous savez bien que nous les hommes sommes tous les mêmes !

- Je ne crois pas répliqua sèchement l’enquêteur en lui ordonnant de poursuivre sa déclaration



Celui penaud s’exécuta :

- Dès que je l’ai touchée elle m’a pris par la gorge et m’a balancé

au-dessus du camion puis elle a renversé la remorque pour m’écraser. Heureusement j’étais tombé dans la fossé et je n’ai pas été touché . Puis une de vos patrouilles est arrivée par hasard quelques secondes plus tard et m’a libéré.


Pendant ce temps d’autres gendarmes revenaient vers le camion pour rapporter à leur chef qu’ils avaient fouillé les environs sans trouver aucune trace des deux filles.

Celui soupira :

- Je m’en doutais mais nous devons appliquer la procédure et faire un périmètre de sécurité pendant plusieurs heures.

Puis se retournant vers le chauffeur :

- Si je résume vous avez été agressé par une femme qui vous a projeté à plusieurs mètres de hauteur et qui a ensuite renversé toute seule un camion de trente tonnes pour vous écraser.

- Oui c’est bien ça, confirma le routier.


Le gendarme lui demanda de ne pas bouger car il avait appelé les secours pour l’examiner.

Peu de temps après, on entendit le bruit caractéristique des véhicules d’urgence.

Le chauffeur fit observer qu’il pensait que les camionnettes du Samu étaient rouges mais le gendarme lui répondit avec un sourire sadique :



- Pas celles des urgences psychiatriques

Le psychiatre diagnostiqua une psychose délirante et deux infirmiers embarquèrent dans l’ambulance le chauffeur routier sidéré de ce qui lui arrivait.

Le camion redressé le gendarme ordonna à ses subordonnés de guider Maurice pour qu’il puisse quitter les lieux avec sa caravane avant la mise en place du périmètre de recherche réglementaire.



Quelques minutes plus tard, il chercha un endroit pour se soulager et se gara sur un chemin forestier. Il revenait vers sa caravane quand il aperçut deux géantes qui en sortaient. Elles devaient mesurer deux mètres et étaient bâties comme des décathloniennes. Les paroles du routier lui revinrent à l’esprit et il crut que son voyage se terminait à cet instant. Mais elles se dirigèrent vers lui avec un grand sourire. Leurs muscles étaient saillants et se contractaient à chacun de leurs pas. La première était blonde avec d’immenses yeux bleus, mais pas d’un bleu habituel, mais celui de la couleur que prennent les glaciers quand le soleil caresse leur surface, à la fois intense et presque transparent.

Elle lui tendit la main et se présenta :

- Je m’appelle Brunnehilde

La seconde en profita :

- Et moi Gudrun.

Elle était aussi belle et grande que sa sœur mais avait des cheveux foncés et un regard vert de panthère.



Maurice n’ était pas pour autant rassuré :

- Bon , maintenant vous allez m’écraser avec ma caravane !

Les deux filles éclatèrent de rire :



- Mais pas du tout, nous sommes montées dans ta roulotte pour nous cacher des hommes en armes qui nous recherchaient. Nous prenons nos affaires et nous te laissons poursuivre ton chemin.

Gudrun lui demanda :

- Et toi quel est ton nom ?

- Moi c’est Maurice

- On t’aime bien Maurice s’exclamèrent elles et lui firent chacune une bise avant de récupérer leurs sacs et de placer au bord de la route en brandissant une pancarte « Portugal »

Maurice stupéfait de cette coïncidence ressentit aussitôt l’envie de partager son voyage avec elles . Il ignorait tout de ces deux filles mais il présentait qu’elles lui offriraient les aventures que sa vie précédente lui avait volées.

Alors il se laissa emporter par son intuition :

- Moi aussi je vais au Portugal

Les deux filles se retournèrent :

- Tu veux bien nous prendre avec toi ?

- Oui I

Elles se précipitèrent sur lui et le couvrirent de bises .

Gudrun lui demanda :

- Et nous pourrons dormir dans la caravane ?

Maurice leur répondit avec la fierté d’un propriétaire qui fait visiter la maison et ouvrit la porte ;



- Regardez, au fond il y a un canapé lit de deux places où vous dormirez et à l’avant une table qui se transforme en banquette lit que j’utiliserai .

- Nous ne serons plus obligées de dormir dans la forêt s’écria Brunnehilde

- Vous avez dormi dans la forêt, mais d’où venez vous ? s’inquiéta Maurice

Brunnehilde lui mis délicatement la main sur la bouche :

- C’est une histoire compliquée et comme la route est longue nous aurons tout le temps de t’expliquer.


Elles le faisaient craquer comme si elles étaient les filles qu’il n’avait pas eues et il découvrait un sentiment de tendresse et de bienveillance qu’il n’avait jamais ressenti en même temps que le sens de l’autorité paternelle :

- Je vous accepte comme vous êtes mais à la seule condition que vous vous habilliez correctement.

Toutes les deux se regardèrent sans comprendre :

- Mais nous sommes vêtues de notre tunique !

- Vous êtes à moitié nues répliqua Maurice, chez nous on se recouvre le corps avec des vêtements .

- Pourquoi ?

- Parce que c’est comme ça, prenez les habits que vous avez dans votre sac et enfilez les, reprit-il avec autorité.

- Mais il n’y a pas de vêtements dans ces sacs, seulement notre arc, nos flèches et notre épée !

Il aurait pu les abandonner aux bords de la route et s’enfuir mais il se dit avec humour que pour la première aventure de sa vie il avait touché le gros lot !

Il reprit la direction des événements :

- Non, montez dans la voiture pour aller à Moulins acheter des vêtements avant que vous ne soyez arrêtées pour attentat à la pudeur

Les deux filles semblaient dubitatives avant de prendre place dans la voiture et Gudrun posa la question qui les préoccupaient :

- Mais où sont les chevaux qui tirent ton char ?



- Là répondit Maurice en ouvrant le capot, il y en a 110 !

- Mais je ne les vois pas

Maurice répondit en rigolant :

- Toi tu soulèves un camion et moi je range 110 chevaux dans mon capot ! Chacun sa magie


C’était sans doute un réflexe conditionné mais il s’était automatiquement dirigé vers le Monoprix le plus proche. Sa geôlière lui disait toujours : « On trouve tout chez Monoprix »

Celui de Moulins était situé au centre ville et Maurice n’avait pas trouvé de place de parking à moins de 300 mètres du magasin. Il était cinq heures du soir la rue principale était presque déserte mais les quelques badauds encore présents restèrent immobiles et ébahis en voyant un petit gros entouré de deux géantes à moitié nues de diriger vers le supermarché.

Le magasin était vide et ils furent accueillis par un boudin avec des lèvres pincées de punaise qui leur adressa un commercial : « que puis-je faire pour vous ? »



Maurice, gêné par cette situation incongrue expliqua :

- Nous cherchons de vêtements pour mes deux filles

Le vendeuse ne put s’empêcher de persifler :

- Vous n’allez pas me faire croire qu’un caniche peut être le père de deux girafes

Puis reprenant son sérieux :

- Je n’aurai jamais de vêtement à leur taille, à Moulins les femmes sont normales et ne mesurent pas deux mètres.

Mais elle trouva une idée en faisant le tour du magasin du regard :

- Vous avez de la chance, nous venons de recevoir des sur vêtements pour l’équipe de basket de Moulin qui est sponsorisée par notre magasin et je crois qu’il me reste quelques exemplaires en stock dans la réserve. Il doit aussi y avoir des chaussures.

Elle revint triomphante avec quelques paquets sur les bras précisant qu’elle avait choisi les plus grandes tailles. Toutes les deux les essayèrent et sortirent de la cabine affublées de chaussures et de survêtements noirs identiques griffés d’un logo vert pomme « Basket Club de Moulins ».

Pendant que Maurice se dirigeait vers la caisse la vendeuse demanda sournoisement :

- Et ces dames n’ont pas besoin de slips pour cacher leur jolies petites fesses ?

Exaspéré il répondit qu’il verrait plus tard ce qui suscita un sourire entendu de la punaise.

Il paya la note sous les yeux stupéfaits de Brunnehilde qui lui demanda la raison pour laquelle il donnait des morceaux de papier en échange des vêtements.



Maurice lui répondit que c’était aussi compliqué que la présence de 110 chevaux sous le capot de la Laguna.

Dans la voiture il essaya de leur expliquer que les billets étaient représentatifs d’une certaine valeur d’échange et tenta de leur démontrer qu’il aurait été en mesure de s’offrir une roue de voiture avec les billets donnés pour les vêtements.



Ses passagères peu convaincues lui avaient expliqué que tout était gratuit chez elles.

Elles avaient les yeux émerveillés et s’amusaient des moindres détails en attendant d’atteindre le camping.

Il avait choisi un camping low cost pour préserver ses maigres économies. Il s’appelait pompeusement « La Courtine » . Un écriteau en bois pourri annonçait : « Stop Campeurs Arrêt au bureau avant d’entrer » Le bureau était une baraque en planches délavées dans lequel trônait sur un fauteuil rouge un être poilu et aviné. Quelques mètres plus loin un bâtiment en béton décrépi se baptisait « Restaurant » et était prolongé par une terrasse défoncée avec des tables et des chaises et au fond de laquelle était installé un four en pierres.

Le camping était aménagé dans une clairière au milieu d’un bois et en passant devant la cuisinière qui essuyait ses mains grasses sur sa blouse Gudrun lui lança :

- Et l’esclave, j’espère que le sanglier est bientôt prêt parce que je meurs de faim.

La tôlière s’avança vers elle :

- Mais elle se croit au Carlton cette pute, ce soir il y des saucisses grillées et des frites si j’accepte de t’en servir quand ton mac m’aura fait ses excuses.

Maurice sentit que Gudrun se tendait et bon


dit de la voiture pour calmer la situation :

- Il faut l'excuser, elle vient de loin et ne connaît pas nos habitudes. Préparez nous des saucisses et des frites.

Ils étaient la seule caravane du camping et se garèrent devant un bosquet d’arbres mais à peine furent-ils sortis de la voiture que Brunnehilde prit son arc et ses flèches et bondit en courant vers la forêt. Gudrun commenta :

- Elle a flairé un sanglier !

Et effectivement elle réapparut quelques minutes plus tard avec un grand sourire et un marcassin sur les épaules qu’elle jeta dans l’herbe en déclarant joyeusement ;

- J’avais bien dit que nous mangerons du sanglier ce soir .


Maurice était tout à la fois ahuri et émerveillé. Il y a deux jours il mangeait du rôti de porc et attendait la mort dans son pavillon et maintenant il partageait son périple avec des géantes qui venaient sans doute d’un autre monde qui renversaient des camions, se baladaient à moitié nues et mangeaient des sangliers.

Il resta immobile assis sur son siège en toile de crainte de briser son rêve en regardant ses deux nouvelles copines dépecer l’anim


al avec une incroyable dextérité. En quelques minutes elles avaient retiré les tripes et la peau qu’elles avaient déposé à quelques dizaines de mètres du campement en précisant que c’était la part qu’elles abandonnaient à leurs amis les animaux de la forêt.

Le patron du camping qui se prénommait Raymond se dit qu’il avait un peu poussé sur la consommation de pastis en voyant Gudrun se diriger vers le gril avec une carcasse de sanglier sur les épaules. Il appela sa mégère de femme qui sortit comme une folle de sa cuisine armée d’une poêle à frire :

- Mais pour qui vous prenez vous, il est interdit d’apporter sa nourriture au restaurant. Ici on mange la cuisine de la patronne et j’ai déjà décongelé les saucisses et les frites. Et puis vous l’avez tué où cet animal ?

- Dans notre forêt hurla le tôlier qui s’était muni d’une batte de base-ball.

Ils avançaient tous les deux en les menaçant de leurs armes mais ils reçurent chacun une paire de gifles qui les envoya valser dans la cabane. Gudrun dont les yeux verts brillaient d’un éclat inquiétant sortit son couteau pour les achever mais Brunnehilde lui retint le bras :

- Arrête, nous devons rester discrètes.

Gudrun accepta à regret mais ajouta :

- Je vais quand même laver ces deux porcs qui puent pendant que tu alimentes le feu.

Elle les tira par les cheveux pour les traîner jusqu’aux sanitaires communs, les enferma tous les deux dans une cabine de douche et les arrosa d’eau froide pendant plusieurs minutes avant de les ramener au restaurant.

Brunnehilde avait mis ce temps à profit pour démolir la cabane en planches afin d’alimenter le feu pour faire griller la viande ;

Comme les deux gérants du camping grelottaient Gudrun leur donna une couverture et les attacha juste à côté du four en déclarant :

- Nous allons prendre notre douche. Prévenez nous quand vous commencerez à brûler parce que cela signifiera que la viande est cuite.



Maurice jubilait, la nuit était éclairée par la pleine lune et la viande était succulente. Le minuscule cloporte qu’il était il y a encore deux jours partageait un dîner dans la nature avec deux créatures exceptionnelles et se sentait projeté dans une aventure qu’il n’aurait même pas osé rêver. La viande était accompagnée de deux bouteilles de côtes de rhône que les filles avaient trouvées dans le restaurant. Le vin délia la conversation et Brunnehilde proposa de se présenter :


- Gudrun et moi sommes deux walkyries envoyées sur votre planète pour recruter un type qui s’appelle Stanford et qui vit au Portugal

- Et toi Maurice ?

- Moi je suis à la poursuite d’un rêve, d’une étincelle qui brille toujours dans mon cerveau et qui s’appelle Luana

Sans doute désinhibée par l’alcool, Gudrun lui demanda :

- Mais tu l’as baisée au moins ?

- Non avoua Maurice

- Et bien, conclut la walkyrie dubitative.


La fatigue et l’alcool aidant les trois nouveaux amis décidèrent de regagner la caravane. Maurice observa qu’il restait encore la moitié du sanglier et Brunnehilde lui répondit :

- C’est la part de nos amis les loups.

Elle imita leurs cris et quelques instants plus tard cinq loups gris menaçants apparurent éclairés par la lumière de la lune et s’aplatirent en gémis


sant aux pieds des deux déesses .


Il attendirent un geste de la walkyrie pour se précipiter sur la carcasse.

Les deux tôliers qui étaient toujours ficelés dans un coin demandèrent timidement :

- Ne nous oubliez pas

- Vous, vous restez là !

- Mais ils vont nous bouffer hurla de terreur le proprio

- Peut être s’ils ont encore faim répondit Brunnehilde

- Mais tu sais bien qu’ils ne touchent pas à la viande avariée commenta sa collègue !


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