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Tisiphone est amoureuse. Chapitre 6 : Le premier cas

  • StanislasMleski
  • 18 juin 2020
  • 9 min de lecture

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Hermès s’était levé :

- Nous assisterons à son audition par visioconférence intragalactique.

Il cliqua sur la souris de son ordinateur et Jeannette apparut sur l’écran du ciel étoilé de la galaxie. Un silence de plomb s’installa dans la salle.

C’était une dame décharnée qui faisait plus que son âge, assise droite et fière dans son fauteuil de misère. Sa voix douce tranchait avec la dureté de ses traits marqués par plusieurs décennies de colère. Elle était questionnée par Alecto :

Racontez-nous votre itinéraire.

Jeannette resta muette quelques secondes. Des larmes coulaient doucement sur son visage :

- Excusez-moi mais ces événements sont toujours aussi douloureux pour moi.

Puis elle se lança :

- J’avais trente-huit ans, une vie banale mais heureuse. J’étais mariée depuis quinze ans avec l’homme que j’aimais et nous avions une fille qui venait de fêter ses douze ans. Mon mari était informaticien et je fabriquais des bijoux fantaisie que je vendais sur les marchés. Nous vivions dans un village de la région de Carcassonne dans une ferme rénovée que nous avions achetée à crédit. Une rivière s’écoulait au fond du terrain. Le drame a débuté en mars 1998. Le 12 j’ai consulté mon médecin traitant car je ressentais depuis la veille des fourmillements dans le tronc, la jambe et le visage. Il m’a immédiatement adressée au service des urgences du centre hospitalier universitaire de Toutpellier où j’ai passé un scanner qui s’est avéré négatif. Le médecin des urgences qui suspectait malgré tout un accident vasculaire cérébral m’avait programmé un rendez-vous avec le professeur Dekarkas, chef du service neurologie du CHRU en même temps qu’il prescrivait une IRM pour le même jour. J’ai rencontré le professeur Dekarkas après avoir passé cet examen qu’il a analysé en présence de deux internes et qui a décrété qu’il ne s’agissait pas d’un AVC mais d’une pathologie inflammatoire. Une de ses assistantes a bien tenté de le contredire en soulignant des signes d’AVC sur la radiographie mais il l’a vertement éconduite en lui disant qu’elle n’était qu’une interne et qu’il était chef de service. Il avait conclu l’entretien en déclarant péremptoirement à sa secrétaire :

- Vous noterez « maladie inflammatoire » dans le dossier !


Zeus était si obsédé par la présence d’Adèle Denon qu’il n’avait rien écouté du rapport d’Hermès. Sa chaise était presque collée contre la sienne. Elle était vêtue d’une robe en tissu si léger qu’il avait presque deviné sa peau en frôlant furtivement sa cuisse avec la jambe. Il s’était égaré dans des pensées érotiques en imaginant les trésors dissimulés par ce vêtement pendant que sa main se rapprochait imperceptiblement de la jambe de la journaliste.






Adèle Denon qui avait remarqué ce manège, bouillonnait intérieurement mais avait réussi à se contenir jusqu’au moment où il avait posé la main sur son genou. Après avoir réfréné son envie de le gifler et repris son sang-froid elle lui avait murmuré à l’oreille :

Retire ton bras immédiatement, espèce de vieux pervers sinon je fais un scandale.

Surpris, Zeus enleva sa main comme s’il avait été piqué par une guêpe. Il n’était pas habitué à ce qu’on lui résiste mais paradoxalement ce comportement exacerbait l’attirance qu’il ressentait pour cette journaliste. Il se dit qu’il la séduirait avant la fin du procès et que sinon il la violerait.

Rasséréné par cette perspective, il se reconcentra sur la vidéo de Jeannette qui poursuivait son récit :

- Pendant quelques mois les symptômes avaient disparu mais au mois de janvier, plus exactement le 14, j’ai ressenti une paralysie de la main avec des difficultés à parler et à marcher. Mon mari m’a conduite aussitôt au service des urgences neurologiques du CHRU de Toutpellier où j’ai été examinée par un interne qui m’a renvoyée chez moi après avoir consulté mon dossier médical. Mon mari révolté lui a fait remarquer que je présentais tous les signes d’un accident vasculaire cérébral mais il l’a éconduit avec mépris en déclarant : « Le médecin ici c’est moi et le professeur Dekarkas qui a déjà examiné votre femme a conclu à un phénomène inflammatoire. Personne ici ne contredira son avis. »

Il parlait du professeur comme s’il s’agissait du pape. Je savais que je glissais vers la catastrophe mais personne ne voulait me soigner.

Nous étions impuissants, prisonniers des certitudes du mandarin. J’ai quitté le service des urgences en titubant soutenue par mon mari.

Le 19 janvier les symptômes se sont aggravés, j’étais en état de confusion, aphasique et incapable de marcher. Le SAMU ayant refusé de se déplacer, Pierre m’a conduite aux urgences de l’Hôpital de notre domicile. Le scanner s’est révélé douteux mais le médecin de permanence m’a renvoyée à mon domicile après avoir téléphoné au service de neurologie du CHRU et pris connaissance du diagnostic du professeur Dekarkas.

J’ai passé la nuit paniquée et révoltée de l’absurdité dont j’étais prisonnière et j’ai perdu connaissance. Le Samu a enfin accepté de se déplacer et j’ai été conduite au centre hospitalier régional où malheureusement je ne suis pas morte.

J’étais tétraplégique quand je me suis réveillée.

Submergée d’émotion elle éclata en sanglots et Alecto suspendit sa déposition pour lui laisser le temps de reprendre ses esprits. Adèle Denon en avait profité pour sortir de la salle afin de téléphoner, ce qui avait permis à Zeus de la suivre du regard, les yeux fixés sur ses fesses.

La victime ayant retrouvé son calme, Alecto reprit l’interrogatoire.

- Que s’est-il passé depuis ?

- L’obstination et l’arrogance de Dekarkas m’ont rendue invalide en même temps qu’il a détruit ma famille. Mon mari a sacrifié son existence pour s’occuper de moi. Il a quitté son travail pour s’installer à la maison et fonder une société de maintenance informatique à distance. Il essayait de faire bonne mine mais je voyais bien qu’il s’étiolait. Je lui ai proposé de divorcer mais il a refusé.


Il rentrait certains soirs avec le parfum d’une autre sur ses vêtements et une mine coupable mais il restait à mes côtés pour partager ma douleur. Il est mort l’année dernière d’une crise cardiaque.

- Et votre fille ? l’interrogea Tisiphone.

- Quand j’ai rejoint mon domicile en sortant du centre de rééducation ma fille qui avait 14 ans s’est enfermée dans ce qu’elle considérait comme un devoir de loyauté. Elle a arrêté ses études pour s’occuper de moi.

J’ai essayé de m’y opposer mais en vain. Elle me répondait que sa place était à côté de la mienne et pourtant, malgré cette magnifique preuve d’amour, je souffrais pour elle de ce renoncement aux joies de l’adolescence et de la découverte amoureuse.

Que fait-elle actuellement ? demanda la déesse.

La victime s’effondra sur elle-même en sanglotant et sa réponse fut un long cri de douleur :

Elle est morte, elle s’est suicidée après son premier chagrin d’amour. Elle avait 24 ans.


Un silence pesant s’était imposé dans la salle habituellement si dissipée. Les dieux se taisaient pour respecter la douleur de cette humaine.

Alecto rompit le silence pour poser la question obligatoire :

- Confirmez-vous votre volonté de vengeance ?

La candidate était animée d’une telle haine qu’elle s’était presque relevée de son fauteuil sous l’effet de la contraction de ses muscles et c’est en hurlant qu’elle répondit :

- Oui et j’aimerais le tuer moi-même mais lentement en l’étouffant avec un sac en plastique transparent pour le voir me supplier du regard de lui laisser la vie comme je l’avais imploré de me soigner !


Hermès reprit le contrôle de la situation en remerciant la victime N° 1 de son intervention avant de couper la visioconférence.

Puis il prit la parole :

- J’ai vérifié tous les faits invoqués par la victime et je vous confirme leur authenticité et je suis favorable à cette demande.

Enfin il s’adressa au tribunal :

- Avez-vous des questions ?

Aphrodite leva le doigt en pouffant de rire.

- A-t-elle conservé des relations sexuelles après son accident ?

La réponse d’Hermès fut cinglante :

- Non. Votre question est stupide car elle est totalement paralysée !

Héra reprit la parole et ordonna la fin des débats.

Aphrodite était en larmes. Les téléspectateurs qui avaient répondu à la question du jour l’avaient désignée comme la déesse la plus ridicule de l’audience et Adèle Denon l’avait convoquée pour son interview du soir.


Aphrodite avait réuni en urgence ses conseillers en communication. C’étaient deux anciens membres du cabinet d’un ex-président déchu. Ils étaient très bêtes et tenaient des propos abscons et contradictoires pour finalement lui proposer de refuser l’entretien.

Aphrodite s’apprêtait à adopter cette idée quand son petit diable intervint.

C’était un diablotin méchant et obsédé mais qui possédait une grande vivacité d’esprit. Il était un peu son conseiller privé auquel elle recourait quand elle était dans une situation délicate. Elle le récompensait quand il avait eu une bonne idée en l’autorisant à se masturber pendant qu’elle prenait son bain.

Il prit la parole dans son style habituel :

- Ce n’est pas étonnant que Macron ait été renversé en étant entouré de nazes comme vous. Votre idée est débile. Elle est morte sur un plan médiatique si elle refuse de répondre à la Denon !

- Que proposes-tu ? lui demanda Aphrodite.

- Il faut d’abord être objectif. Tu es magnifique mais quelquefois tu ferais mieux de te taire.

Les deux conseillers étaient sidérés de l’entendre s’adresser de cette façon à leur déesse mais le diablotin poursuivit en les toisant du regard :

- Ta question a été stupide. Il faut le reconnaître pour clore la discussion et insister sur tes points forts. Tu vas utiliser ton physique ravageur que tu mettras en évidence pour que les téléspectateurs soient si fascinés qu’ils n’écoutent plus la journaliste.

Aphrodite enchantée par sa proposition se leva pour aller s’habiller avant de lui murmurer :

- Suis-moi, tu pourras te masturber pendant que je me change !

Et elle quitta la salle suivie par le petit diable en érection qui volait derrière elle.


Adèle Denon ne supportait pas que ses invités soient en retard et elle était blême de rage d’attendre Aphrodite depuis dix minutes. Ses techniciens étaient tétanisés par la crainte de commettre une erreur et d’attirer les foudres de leur patronne. La tension était à son comble et la journaliste avait commencé à s’en prendre à son caméraman quand la déesse apparut à l’entrée du studio. Adèle suffoquée cessa aussitôt de se disputer. Aphrodite avait choisi des vêtements qui la déshabillaient. Elle portait des cuissardes, une jupe en cuir ultra courte et un chemisier noir en dentelle transparente. Sa tenue exaspéra l’antipathie que la journaliste ressentait à son égard.

Elle se fendit d’un sourire forcé, la remercia d’être venue et l’invita à prendre place dans le fauteuil qui lui était réservé. Bien entendu, sa jupe remonta sur ses cuisses quand elle s’assit dévoilant un minuscule string rouge destiné à attirer les regards.

Adèle décida de l’attaquer sans ménagement pour l’achever en deux ou trois questions :

- Vous avez été choisie par 95 % des téléspectateurs comme la déesse la plus ridicule de la journée. Qu’en pensez-vous ?

La journaliste savait par expérience que les invités se défendaient toujours maladroitement en contestant ce type d’appréciation et elle avait préparé deux questions suivantes pour démontrer sa mauvaise foi et la clouer au mur


Cette dinde qui roulait des fesses ne manquerait pas de tomber dans le piège.

Aphrodite répondit avec un grand sourire :

- Je pense que les téléspectateurs ont raison. J’ai posé une question idiote.

La journaliste était désarçonnée par la réponse de son invitée qui reconnaissait s’être conduite comme une conne. Elle ne pouvait plus dérouler ses questions incriminantes d’autant plus qu’Aphrodite poursuivait pour pousser son avantage :

- J’ai réfléchi pour comprendre cette erreur et je crois qu’elle est due à mon hyper sensibilité. J’étais tellement émue par le sort de cette victime que j’espérais pour elle qu’elle ait au moins cette satisfaction.

La journaliste était dépassée ; les compteurs affichaient un taux d’audience record et les sondages instantanés révélaient que les téléspectateurs étaient convaincus par les explications de la déesse.

Elle perdait la partie mais elle n’était pas devenue une star pour rien et elle décida de jouer le tout pour le tout :

- Et c’est pour vous faire pardonner que vous vous êtes habillée en pute !


Quelques secondes de silence succédèrent à cette réplique avant qu’un grand éclat de rire ne traverse la galaxie. Aphrodite était ridiculisée et Adèle avait gagné. La déesse furieuse quitta le plateau sans saluer personne.

Son diablotin qui l’avait suivie eut le malheur de lui adresser la parole pour tenter de la consoler en lui disant qu’elle s’en été bien sortie et qu’il méritait une petite branlette supplémentaire.

Il était déjà en érection. Aphrodite exaspérée l’agrippa par le sexe, le fit tournoyer autour d’elle et le lança contre le mur.


Paul Dumer, le rédacteur en chef de Galaxy One était un homme détestable, aussi tyrannique et odieux avec ses subordonnés qu’il était flagorneur avec ses supérieurs. Il était inquiet à la veille de l’examen du deuxième cas car le directeur d’antenne lui avait appris que le succès inespéré de l’audience avait aiguisé les appétits de la chaîne concurrente Canal Univers qui avait bien l’intention de couvrir la suite du procès.

Leur envoyée spéciale était la redoutable Aznova Ziconziva, une superbe métisse d’humain et d’alien qui était connue pour sa férocité et son absence de scrupules. Elle excellait dans la menace et le chantage. Dans le milieu certains prétendaient qu’elle avait déchiré de ses griffes le visage d’un ingénieur du son qui avait raté sa prise.

La veille, le patron de Galaxy One lui avait téléphoné pour l’avertir des enjeux. La retransmission du procès avait permis d’engranger des recettes publicitaires exceptionnelles et il était exclu de se faire dépasser par Canal Univers. Il avait conclu la conversation en lui disant clairement qu’elle risquait sa tête.



 
 
 

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