Tisiphone est amoureuse. Chapitre 8 : Le troisième cas
- StanislasMleski
- 26 août 2020
- 17 min de lecture

Aznova avait eu un réveil de vainqueur. Son émission d’hier avait atteint des records d’audience et le jeu de la playmate avait suscité chez les téléspectateurs un engouement inconnu à ce jour. En récompense elle s’était un peu laissé aller à ses instincts aliens et avait dévoré le chat de l’hôtel en guise de petit déjeuner. Hier elle avait humilié sa rivale, aujourd’hui elle allait l’anéantir car la production avait doublé la mise en offrant deux magnifiques call girls sélectionnées dans les meilleures agences de mannequins. Son équipe travaillait depuis l’aube pour installer les affiches et enregistrer les inscriptions.
Quelques minutes avant l’audience, elle avait appelé son chauffeur pour la conduire au tribunal. Il l’avait félicitée pour son succès. Cependant sa jubilation disparut à l’arrivée sur le parvis ; une foule agitée faisait la queue devant le studio de Galaxy One pour obtenir un ticket alors que personne n’attendait devant celui de Canal Univers. Elle se dit qu’il devait s’agir d’une erreur ou d’une confusion chez les spectateurs entre les deux chaînes car rien ne semblait susceptible de compromettre son triomphe. Elle bondit de la voiture pour apercevoir les affiches de Galaxy One et s’arrêta hébétée en lisant : « Le gagnant du tirage au sort passera la nuit avec notre journaliste Adèle Denon ! »
Aznova n’en croyait pas ses yeux. Son esprit était électrocuté dans l’incapacité d’ordonner ses idées. Elle comprit rapidement que le coup était imparable et que sa rivale avait gagné la partie. Elle eut brutalement l’envie de démolir le studio d’Adèle et de l’égorger devant les caméras mais elle parvint à reprendre ses esprits. Elle devait faire semblant de ne pas en être affectée et tenter de limiter les dégâts et elle rejoignit la salle d’audience.
Adèle savourait son succès en participant à la distribution des tickets. Cette idée lui était venue à l’esprit au milieu de la nuit. Au début elle l’avait trouvée saugrenue mais elle l’avait adoptée après quelques minutes de réflexion car elle constituait un événement inédit susceptible de renverser la tendance. Certes elle transgressait tous les codes et vendait son intimité mais elle était prête à payer ce prix à la victoire. Sa décision prise, elle s’était levée et avait réveillé toute son équipe pour que ses assistants préparent le studio pour le lendemain matin. Certains s’étaient émus de l’audace de son choix et des risques qu’elle encourait mais elle leur avait fermement rappelé qu’elle était la seule à décider.
Les événements lui avaient donné raison car une foule innombrable se pressait à l’entrée du studio pour tenter d’obtenir un des bulletins de participation limités à quatre cents. Certains avaient même essayé de se grouper sur un seul billet, ce qu’Adèle avait refusé car son sens du sacrifice n’allait pas jusque-là. Il ne restait que quelques tickets à distribuer quand elle aperçut dans la file d’attente un jeune homme de grande taille. Elle identifia immédiatement Narcisse. Elle se dit instantanément qu’elle n’allait pas perdre une chance de passer la nuit avec le plus bel homme de l’univers et retira discrètement un billet du stock restant qu’elle prit un certain temps à glisser dans une des boules du tirage au sort en ayant le soin d’y insérer une bille aimantée qui faisait partie d’une décoration collée sur le réfrigérateur de l’équipe et qu’elle avait récupérée. Elle remit le double de son numéro à Narcisse qui attendait toujours dans la file d’attente qui la remercia d’un sourire éblouissant.
Hermès avait secoué la cloche du tribunal pour inviter les spectateurs à rejoindre la salle d’audience et pour annoncer l’ouverture des débats. La téléconférence débutait et le visage de la candidate apparut sur l’écran de l’univers. C’était une femme âgée avec un visage émacié et une attitude rigide. Elle était habillée d’un tailleur bleu marine et d’une chemise blanche dont le col était fermé par une lavallière. Elle était assise au bord du fauteuil les jambes serrées et le buste au garde-à-vous. Alecto qui menait l’interview lui demanda de raconter son histoire. Elle sortit quelques feuilles dactylographiées de la poche de sa veste de tailleur et se tourna vers la déesse pour lui demander l’autorisation de lire sa déposition. Elle acquiesça d’un geste de la tête et la candidate débuta sa lecture d’une voix blanche :
- Je suis désolée mais ces événements sont trop douloureux pour que je puisse en parler sans pleurer et c’est la raison pour laquelle je lirai ma déposition.
Mon mari était l’homme de ma vie jusqu’à son accident de la circulation il y a deux ans. Je l’avais rencontré il y a cinquante-deux ans dans les bureaux des mines. J’avais vingt ans et j’étais secrétaire. Lui avait vingt-sept ans et était aide-comptable. Il m’impressionnait avec son air assuré, ses lunettes cerclées et ses costumes impeccables. Il entrait au secrétariat comme un coq dans un poulailler et le bruit des machines à écrire s’arrêtait dès que sa silhouette se dessinait dans la vitre de la porte d’entrée. Elles étaient toutes folles de lui et rêvaient d’une invitation au cinéma le dimanche après-midi. Mais c’est moi qui ai été choisie. C’était un vendredi après-midi. Je lui avais apporté le courrier à signer ; il m’a regardée de la tête aux pieds et m’a demandé si je voulais bien l’accompagner dimanche au cinéma communal ?
Nous nous sommes fréquentés pendant près d’un an avant de nous marier. Je désirais ardemment un enfant mais plusieurs années se sont écoulées sans que la bonne nouvelle n’arrive. J’ai passé des examens qui ont démontré que j’étais fertile mais mon mari a refusé de passer les siens. Je lui en ai voulu sans oser lui dire et depuis je pleurais souvent en cachette. Entre-temps il était devenu chef de bureau et son ascension professionnelle a monopolisé toutes les ressources personnelles et affectives de notre couple. Nous devions être au bureau tous les matins à 7 h 30. Je me levais une heure plus tôt que lui pour repasser son costume et sa chemise car il considérait que son statut social ne lui permettait aucun faux pli. Il rentrait le soir à 18 h 30 et exigeait que le repas soit prêt et la table mise. Le samedi après-midi était réservé aux courses et le samedi soir au repas avec les collègues du bureau de la comptabilité à l’occasion duquel s’échangeaient les mêmes histoires et qui se terminaient toujours par les mêmes blagues grivoises. Nous avions très peu de relations sexuelles, ce qui ne m’étonnait pas car je n’avais pas connu d’autres hommes. Quelquefois mon ventre brûlait de désir mais je culpabilisais car j’imaginais que j’étais anormale. Et puis la retraite est arrivée. Mon mari m’a annoncé qu’il n’était plus convenable d’avoir des rapports sexuels à notre âge et une fois de plus j’ai acquiescé. Nous avions une bonne retraite, un statut social et une maison route de Thionville à Morbach. Mon mari était devenu encore plus maniaque depuis l’arrêt de son activité. Il avait méticuleusement organisé chaque seconde de notre vie : lever à 7 h et petit déjeuner avec un croissant et un pain au chocolat frais que je devais acheter à la boulangerie voisine, ensuite toilette pour lui et vaisselle et ménage pour moi. A 8h il quittait le domicile pour acheter le journal qu’il lisait de la première à la dernière ligne dans un bistrot du coin. Il regagnait le domicile à 11 h 45 et exigeait qu’un repas léger lui soit servi à 12 h, faisait une petite sieste, partait à 13 h 30 rejoindre ses copains pour jouer aux cartes, rentrait à 18 h 30 pour dîner et il se couchait à 21 h après le journal télévisé. Et tous les jours se suivaient tristement identiques. J’avais accepté cette servitude car elle remplissait ma vie. Je n’avais pas eu la chance de consacrer mon existence à mes enfants alors je l’ai sacrifiée à mon mari, ma seule famille. Jusqu’au jour de l’accident.
Le brouhaha dans la salle devenait insupportable et empêchait les spectateurs de se concentrer sur la déposition de la candidate. Zeus s’était levé et avait poussé un tonitruant « Silence ! » Adèle était à l’origine de ces perturbations par ses allers-retours entre la salle d’audience et le parvis. Elle était harcelée par tous les journalistes de l’univers qui sollicitaient des informations au sujet de son incroyable pari de s’offrir au gagnant du tirage au sort. Ziconziva était folle de jalousie et avait lacéré son fauteuil avec ses griffes. Les taux d’audience s’affolaient et la chaîne n’avait jamais connu un tel succès mais son rédacteur en chef était paniqué qu’Adèle ne se dégonfle et il lui envoyait un texto toutes les dix minutes pour lui rappeler les enjeux. Excédée, elle avait désactivé son téléphone pour retrouver son calme et s’intéresser au témoignage de la victime.
La téléconférence qui avait été interrompue après l’intervention de Zeus avait été relancée une fois le calme revenu. La femme poursuivait son récit.
- Je me souviendrai toute ma vie de ce jour. C’était un vendredi il y a deux ans. Je m’étonnais que mon mari ne soit pas encore rentré. Il avait dix minutes de retard ce qui ne lui était jamais arrivé. Je commençais à m’affoler quand la sonnerie du téléphone retentit. Un monsieur avec un fort accent allemand m’apprit qu’il avait eu un grave accident de voiture dans l’après-midi à proximité de Sarrebruck. Cette situation était trop inattendue pour que je comprenne. Je lui répondis qu’il devait se tromper car mon mari était sans doute en train de jouer aux cartes à Morbach. Il me répondit fermement que non car il avait trouvé ses documents d’identité. Puis sans me laisser le temps de réagir, il ajouta : « Votre mari est grièvement blessé mais la fille qui l’accompagnait est morte. » J’étais hébétée, je ne comprenais rien : un accident, l’Allemagne, une fille morte. Aucun de ces concepts n’était rattaché à l’image de mon mari et mon cerveau refusait de les déchiffrer. C’est presque mécaniquement que je me suis habillée avant d’appeler un taxi pour me rendre à l’hôpital. Mon mari sortait de la salle d’opération et était encore inconscient. Un médecin qui était sans doute le chirurgien est venu me voir. Il parlait le français et m’expliqua que la voiture était sortie de la route, que la passagère était morte dans le choc mais qu’il avait sauvé la vie du conducteur. Il avait ajouté, comme s’il s’agissait d’un détail, qu’il ne retrouverait plus l’usage de ses jambes qui avaient été polytraumatisées. Puis il tourna le dos et s’éclipsa. Le lendemain le policier allemand me téléphona pour me demander de me déplacer au commissariat afin de récupérer les affaires de mon mari qui avaient été trouvées dans la voiture. Je m’y suis rendue dans l’après-midi. Le flic était une caricature. Il était grand et gros avec un teint rubicond. Il me rendit le portefeuille de mon mari qui était soigneusement rangé dans un petit casier avec un sac de femme. Je ne pus m’empêcher de lui demander si c’était le sac de la passagère décédée et comment avait réagi sa famille.
En même temps que je l’interrogeais, je savais que je n’aurais jamais dû le faire. Il me regarda avec surprise et me répondit : « Elle n’a pas de famille. C’est une Roumaine qui travaillait au bordel. » Devant ma tête ahurie il crut utile de préciser : « Nous avons une très jolie maison close à Sarrebruck, Le Délice d’Amour, qui est très fréquentée par les Français. » Puis il s’exclama en se frottant le ventre : « Ach, petits Français mais gros cochons ! » Et il ajouta après avoir repris son sérieux : « D’ailleurs, elle sera enterrée demain dans le carré des indigents du cimetière communal. »
J’avais besoin de connaître la vérité et je me suis rendue aux obsèques. L’église était immense mais presque vide à l’exception d’une vingtaine de jeunes femmes qui étaient regroupées en face du cercueil en planches. Elles s’étaient retournées en entendant mes chaussures claquer sur la pierre du sol de l’église et m’avaient regardée comme une intruse venue perturber leur recueillement.
Je m’étais assise sur l’autre rangée de bancs un peu en retrait et je pouvais les observer. Elles étaient trop belles, avaient des talons trop hauts, des jupes trop courtes et étaient trop maquillées. J’en ai déduit qu’elles étaient des collègues de travail de la passagère décédée. Elles s’étaient recroquevillées les unes contre les autres comme pour partager leur tristesse et se protéger de l’extérieur. Elles m’attendrissaient par leur attitude mais aussi parce qu’elles avaient l’âge qu’aurait la fille que je n’ai jamais eue.
Le prêtre avait expédié la cérémonie et deux employés municipaux avaient empoigné le cercueil pour le glisser dans une camionnette de la régie municipale des espaces verts. Le cimetière était à 200 mètres de l’église et je m’y étais rendue pour assister à l’inhumation mais surtout pour tenter d’engager le dialogue avec les filles afin de répondre à mes interrogations. Je franchissais le portail d’entrée quand la plus grande d’entre elles se dirigea vers moi. Elle était immense avec de magnifiques yeux noirs en amande et m’interpella d’un ton menaçant : « Que venez-vous faire ici ? ». Je lui dis : « Je suis la femme du chauffeur de la voiture et je suis venue m’excuser auprès de sa famille. » Elle répondit sèchement : « Elle n’avait pas de famille ! », avant de se retourner vers ses copines en criant : « C’est la femme du Français ! » et elles éclatèrent toutes de rire.
J’eus la force de lui dire que j’aimerais lui poser quelques questions au sujet de mon mari. Elle me répondit avec un sourire que ce n’était peut-être pas nécessaire, mais je lui dis que je voulais connaître la vérité quel qu’en soit le prix. Elle me fixa longuement et déclara : « Attendez-nous dans le café d’en face et je vous rejoindrai à la fin de la cérémonie. »
Nous étions au mois de février et j’étais frigorifiée. Le bistrot sentait la bière et la fumée de cigarette mais un poêle à bois diffusait une chaleur réconfortante et presque apaisante. Je les ai attendues pendant un bon moment puis elles sont rentrées dans l’établissement comme un vol de perruches. Elles se sont assises autour de moi, ont commandé chacune une boisson chaude et la grande m’a pris affectueusement la main en me répétant qu’il était inutile de réveiller le passé.
Je crois que j’ai crié pour lui dire que je voulais la vérité. Alors elle s’est penchée vers moi l’air attristé : « Votre mari était un client régulier du bordel ! Il y venait trois fois par semaine le lundi, le mercredi et le vendredi toujours à la même heure. »
Elle ne faisait que confirmer ce que je craignais d’entendre mais une autre question que je n’osais pas poser me tordait l’estomac. Nous n’avions plus de relations sexuelles depuis des années alors pourquoi fréquenter des prostituées ? Le pire se profilait, était-il possible que cet homme auquel j’avais sacrifié ma vie ait eu de vrais rapports sexuels avec d’autres ? Non il venait au bordel juste pour se distraire, pour rêver un peu. Je devais savoir mais comment poser la question. J’avais honte et j’ai tout juste réussi à dire maladroitement : « Mais il consommait ? » Elles ont rigolé : « Ah ça oui et pas qu’une fois ! »
Je me suis sentie plus que morte, anéantie et humiliée mais j’ai plongé dans mes dernières ressources pour demander : « Mais le jour de l’accident il n’était pas au bordel ! » « Non », répondit une autre, une grande blonde. « Il nous disait qu’il aimait la nature et nous emmenait quelquefois faire... » Elle hésita sur les mots et se reprit « Ben, faire sa petite affaire dans les bois. »
Un lourd silence régnait dans la salle car chaque spectateur pouvait se projeter dans cette situation et mesurer l’ampleur de la trahison. Alecto l’interrompit :
- Quelle a été votre réaction après cette terrible révélation ?
- Tout d’abord rien, j’étais en état de choc, anesthésiée. J’ai remercié les filles, payé les consommations et appelé un taxi. Arrivée chez moi j’ai ouvert une boîte de sardines, regardé les actualités de FR3 et me suis couchée. Le lendemain le réveil a été bizarre, mon passé avait disparu comme si j’avais effacé une ardoise et je ne distinguais plus les couleurs. Le monde s’était décoloré en noir et blanc. Pendant la journée j’avais des vertiges et la sensation que je chutais d’un immeuble qui touchait le ciel. Mes gestes étaient mécaniques. J’ai vécu pendant plusieurs jours comme un robot sans conscience. Mais un matin la vérité a explosé dans ma tête. Ma vie avait été inutile, je l’avais sacrifiée à un type qui m’avait humiliée. J’ai pleuré toute la journée recroquevillée sur moi-même, effondrée devant ce terrible constat et quand la nuit est tombée, j’en ai déduit que la fin de ma vie était aussi arrivée. J’ai décidé de me suicider et de m’ouvrir les veines. J’ai enfilé mon tailleur bleu, choisi le beau chemisier blanc que j’avais acheté à Paris quelques années plus tôt et je me suis allongée sur mon lit avec une lame de rasoir.
La salle était captivée et Alecto posa la question que tout le monde attendait :
- Mais vous êtes toujours vivante, que s’est-il passé ?
- J’avais une lame de rasoir dans la main quand j’ai entendu, venant de la rue, le rire de deux jeunes enfants.
- Et alors ? l’interrompit la déesse.
- Alors j’ai réalisé le bonheur que cette ordure m’avait volé et j’ai trouvé un but pour m’aider à vivre.
- Lequel ? s’exclama Alecto.
- Me venger !
Elle l’avait dit avec tant de détermination qu’un frisson avait parcouru la salle. Alecto lui laissa un peu de répit avant de reprendre :
- Pourquoi n’êtes-vous pas allée lui dire ce que vous pensiez de lui ?
- J’ai eu peur qu’il en profite pour m’humilier une fois de plus.
- Mais alors qu’avez-vous fait ? s’inquiéta Alecto.
- La pire des vengeances est de rayer quelqu’un de sa vie sans lui fournir d’explications. Il a certainement passé des nuits entières à se demander ce qui s’était passé et à imaginer tous les scénarios possibles pour tenter de comprendre pourquoi il avait perdu son esclave dans la période où il en aurait eu tant besoin puisqu’il était handicapé. Il a téléphoné mais je n’ai pas répondu, il m’a écrit et j’ai jeté la lettre sans l’ouvrir. Il m’a dépêché une assistante sociale pour récupérer des vêtements et je lui ai répondu que je les avais tous donnés. Elle n’était pas dupe et m’a fait remarquer pour me culpabiliser que sa seule tenue était le pyjama du centre de rééducation. Elle n’a sans doute pas compris mon sourire mais je jubilais d’imaginer mon ancien maître habillé comme un SDF. J’ai profité des semaines suivantes pour le ruiner en transférant toutes nos économies sur un compte à mon nom. Je n’en avais aucune utilité mais je savais qu’il en serait très affecté. Quelques mois plus tard le service social de l’hôpital m’a contactée pour me dire qu’il était consolidé et qu’il souhaitait regagner son domicile. J’ai éclaté de rire et ils ont été obligés de le placer dans l’EHPAD crasseux des retraités de la mine.
Alecto s’exclama :
- Mais vous vous êtes déjà vengée !
- Non, parce qu’il est toujours vivant alors que moi je suis déjà morte.
Ce fut sa dernière réflexion avant qu’Hermès n’interrompe la diffusion et ne valide les faits exposés par la candidate. Héra se leva et déclara avec gravité :
- J’ordonne la clôture des débats et l’affaire est mise en délibéré. La commission rendra sa décision quand l’unanimité aura été acquise.
Et le tribunal se retira.
Adèle qui avait anticipé les dernières phrases d’Héra s’était précipitée vers la sortie pour faire son compte-rendu d’audience et préparer le tirage au sort. La porte à peine entrouverte, elle fut éblouie par les flashs des appareils photos et les projecteurs des caméras car une meute de journalistes bouchait la sortie. Pendant quelques secondes elle se dit que cette affaire avait pris une dimension considérable avant de se rendre compte que c’était elle l’attraction. Presque tous les journalistes de l’univers étaient présents attirés par l’enjeu du tirage au sort. Les questions fusaient mais étaient incompréhensibles dans le brouhaha ambiant jusqu’à ce qu’Adèle hurle qu’elle ne répondrait que si le calme était rétabli. Les journalistes reprirent leur sang-froid. Le premier à prendre la parole était un gouldouc de la galaxie des glaciers. Adèle détestait ce peuple hautain et moralisateur.
- Pensez-vous qu’il soit éthique d’offrir son corps pour gagner de l’audience ?
Adèle qui n’avait pas apprécié la question le moucha immédiatement :
- Je ne pense pas que vous attireriez beaucoup de public en offrant le vôtre !
Les autres journalistes éclatèrent de rire et les autres questions furent plus prudentes :
- Allez-vous vraiment respecter votre pari ?
- Oui bien-sûr !
- Qu’en pense votre mari ?
- Il n’est pas autorisé à penser.
- Comment se déroulera le tirage au sort ?
- Chaque numéro est glissé dans une boule et chacune d’elles sera déposée dans une sphère transparente géante. Elles seront brassées pendant trois minutes avant que je ne plonge ma main dans le bocal pour retirer au hasard la boule de l’heureux gagnant. Tout sera contrôlé par Maître Casqueto.
- Et si vous tombez sur un joueur sale et répugnant ?
- Eh bien je lui demanderai de prendre une douche et ensuite je fermerai les yeux en pensant que seule la victoire est belle.
- Vos ébats seront-ils télévisés ?
- Non, je ne suis pas une star porno.
À la fin de cette réponse elle interrompit la conférence de presse d’un ton ferme :
- Je crois avoir répondu à vos interrogations et il est temps de passer au tirage au sort. Je vous invite à me rejoindre dans le studio de Galaxy One.
La salle était comble et les spectateurs étaient serrés comme un thon dans une boîte de sardines. La majorité des joueurs n’avait pas trouvé de place et suivait la cérémonie devant un écran géant. Maître Casqueto chauffait la salle avec des réflexions éculées.
Au bout de quelques minutes la foule excitée le conspua et il appuya sur le bouton qui activait la brasseuse de boules sans pouvoir s’empêcher d’éructer :
« Dans quelques instants l’un d’entre vous gagnera le droit de passer la nuit avec la plus célèbre et désirable journaliste de l’Univers. »
La machine s’était arrêtée et un silence absolu avait succédé au tumulte. Chacun retenait son souffle. Adèle pensive avait attendu quelques secondes avant de plonger sa main dans le globe. Personne n’avait remarqué qu’elle portait une grosse bague en acier qu’un amoureux fauché lui avait offerte. Elle prit sa respiration et enfonça sa main dans le récipient. Elle brassait les boules sans trouver celle qu’elle cherchait. Plusieurs secondes s’écoulèrent avant qu’elle ne retire son bras sans choisir de boule. Les spectateurs éclatèrent de rire en pensant qu’elle faisait malicieusement durer le suspense mais personne ne savait qu’elle avait glissé un aimant dans la boule de Narcisse en espérant qu’elle se collerait à sa bague en acier mais qu’elle n’avait ressenti aucune attraction à l’occasion de son premier essai. Elle commençait à paniquer. Serait-elle prise à son propre piège ? Le public commençait à s’impatienter. Dépitée elle replongea son bras, remua en vain quelques boules et c’est au moment où elle avait décidé d’abdiquer qu’elle sentit une boule s’aimanter à sa bague. Elle la saisit fermement et la retira tout doucement pour la confier à Maître Casqueto.
Celui-ci prit la boule avec une précaution affectée et dévissa le couvercle pour en sortir le numéro gagnant. Il attendit quelques secondes pour ménager le suspense puis annonça théâtralement « Le numéro gagnant est le 792. Qui est l’heureux vainqueur ? »
Le silence régnait dans la salle car chacun consultait son billet. Personne ne se manifesta pendant d’interminables secondes jusqu’à ce qu’un joueur au fond de la salle s’exclame : « C’est moi ! » Tous les regards se tournèrent vers lui : c’était un jeune homme de grande taille avec des traits fins et un immense sourire. Il n’eut pas le temps de se présenter car son nom circula sur toutes les lèvres et le son « Narcisse » parvint comme un bruissement aux oreilles d’Adèle qui ne put s’empêcher d’esquisser un mouvement de tête d’approbation.
Folle furieuse Aznova qui assistait au tirage de l’extérieur se pencha vers l’un de ses assistants pour lui murmurer : « en plus cette salope va se taper le plus beau mec de l’univers ! » et de rage elle lui arracha l’oreille avec les dents.
La production leur avait réservé la suite royale du palace local qui était situé à quelques centaines de mètres du tribunal. Ils s’y rendirent à pied suivis par une partie de la foule des joueurs. Adèle marchait en tête du cortège tendrement accrochée au bras de Narcisse. Elle rayonnait de bonheur savourant son triomphe médiatique et se réjouissant de la perspective d’une soirée avec l’homme que toutes les femmes rêvaient de rencontrer. Quant à Narcisse, il semblait ailleurs, un peu perdu et presque réticent à suivre la journaliste.
Arrivés à l’entrée de l’hôtel ils saluèrent leurs accompagnateurs et Adèle se rendit au desk pour récupérer la clef. Dans l’ascenseur il regarda Adèle tendrement et s’excusa :
- Je suis désolé mais je suis très tendu car je ne suis pas habitué à ces situations. Moi je suis un chasseur et je vis dans mes forêts de Béotie dans lesquelles ma seule préoccupation est d’éviter les sources et les lacs jusqu’à la tombée du jour.
- Ah bon, pourquoi ? lui demanda Adèle surprise.
- Je ne sais pas mais ma mère me l’a interdit, répondit-il.
Gêné, il poursuivit :
- C’est la première fois que j’entre dans un hôtel et que je fréquente une femme aussi célèbre que vous. Je suis très impressionné.
- Ne t’inquiète pas, tout se passera bien, lui répondit la journaliste sûre de son charme.
Le couloir qui menait de l’ascenseur à la suite était interminable et elle en avait profité pour se coller contre lui à plusieurs reprises sans qu’elle ressente la moindre réaction de sa part alors que le contact du corps musclé de son partenaire avait exacerbé son désir.
Aussi, la porte de la suite à peine ouverte, elle s’était jetée fougueusement sur lui en le poussant sur le lit. Allongée sur son amant elle avait passé ses mains sous ses vêtements pour sentir sa peau si douce et son corps si parfait. Ses doigts devinaient tous ses muscles saillants et descendaient langoureusement vers sa taille pour finalement se glisser dans son pantalon et constater que les caresses n’avaient eu aucun effet.
Mais Adèle n’était pas du genre à abandonner son dessert et elle entreprit de rassurer son partenaire :
- Tu es trop tendu car tu es dans une situation inédite. Rassure-toi, nous avons tout notre temps. Va prendre une douche bien chaude et détends-toi.
Il acquiesça, se leva prestement un peu comme s’il était soulagé d’avoir gagné du temps et rejoignit la salle de bains pendant que la journaliste en profitait pour se déshabiller et l’attendre langoureusement allongée sur le lit en guettant son retour.
Cependant après quelques minutes d’attente, Adèle impatiente se leva pour le rejoindre et resta sidérée après avoir ouvert la porte de la salle de bains ; Narcisse, nu, se masturbait devant le miroir qui occupait tout le mur de la salle de bains. Elle imagina que c’était son moyen de se détendre. Troublée par cette scène, elle murmura en s’approchant de lui :
- Mais tu sais que c’est très sexy ce que tu fais, tu voulais m’exciter ?
Il la regarda avec surprise avant de lui répondre :
- Pas du tout. C’est la première fois que je me vois dans une glace et que j’aperçois mon image.
Puis il changea de sujet :
- Surtout ne le dis pas à ma mère.
Avant de poursuivre :
- J’ai découvert que j’étais parfait, qu’aucun être vivant de l’univers n’était aussi beau que moi et je suis tombé amoureux de moi-même.
- Bon d’accord mais tu vas quand même me baiser, laissa échapper Adèle.
Narcisse se retourna et la toisa du regard :
- Comment peux-tu imaginer que je m’abandonne pour m’occuper de toi !
Hébétée elle resta quelques secondes les bras ballants sans bouger comme si elle était collée sur le carrelage. Mais la Denon restait la Denon et la colère succéda à l’abattement. Elle se rua sur lui et lui balança un énorme coup de genou dans le bas ventre. Calmée, elle se rhabilla en écoutant avec satisfaction les gémissements de Narcisse. Puis elle claqua la porte en quittant la chambre.




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