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Le rêve d'un rêve. Chapitre 17 : On enlève les masques

  • StanislasMleski
  • 18 juil. 2023
  • 5 min de lecture

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Brunnehilde et Gudrun avaient passé une mauvaise nuit, tenaillées par des sentiments désagréables qu’elles découvraient. Certes, elles n’avaient jamais connu de moments aussi exceptionnels que ceux qu’elles vivaient avec leurs amoureux mais en contrepartie elles trahissaient leurs dieux et découvraient l’existence de la culpabilité.

Elles se disaient ce matin que leurs précédentes certitudes de machines à tuer avaient l’avantage de leur épargner les dilemmes auxquels elles étaient désormais confrontées.

Cette nuit Stanford avait été encore plus tendre que d’habitude en se collant contre elle après avoir fait l’amour et s’était endormi dans cette position fusionnelle. Elle l’avait longuement observé pendant ses heures d’insomnie, désormais persuadée qu’elle n’aurait jamais la force de le supprimer.

Mais elle était en même temps tenaillée par le remord d’abandonner les siens qui comptaient sur elles pour leur épargner la défaite. Les visages confiants de Freya, de Frigg ou de Lagerta se gravaient dans son esprit pour lui reprocher sa future défection.


Elle s’était levée en veillant à ne pas déranger son amoureux quand l’aube avait filtré au travers des persiennes et s’était rendue sur la terrasse pour contempler la lumière de l’aurore qui annonçait cette journée décisive. Elle s’était ensuite prosternée, poussée par son désarroi, et avait supplié l’univers de lui apporter une solution


Luana avait décidé que les présentations se dérouleraient toute l'après-midi.

Les huit membres de la communauté étaient réunis autour de la table ronde, protégée du soleil par le toit de la terrasse. Tous étaient impatients de découvrir leurs nouveaux parents d’adoption et semblaient détendus à l’exception des walkyries qui affichaient un visage fermé.

Elle avait pris la parole pour expliquer sa démarche :

- Je sais que nous nous aimons et que nous sommes heureux de cohabiter mais nous devons franchir une étape si nous voulons constituer une famille . Les liens parentaux sont fondés sur l’expérience acquise pendant des années de vie en commun de telle sorte que chacun connaisse les qualités, les défauts et les particularités des autres membres et qu’il les accepte. Or nous n’avons pas cette indispensable connaissance de l’autre puisque nous ne nous sommes réunis que depuis quelques jours. J’ai donc organisé cet exercice de présentation pour rattraper toutes ces années que nous n’avons pas partagées et c’est la raison pour laquelle je vous demande de vous dévoiler sans réticence .

Tous les participants acquiescèrent en l’applaudissant car chacun désirait s’ancrer dans cette formidable communauté .


Luana conserva la parole pour se présenter. Elle répéta son histoire pour Estela et Guadalupe qui ne la connaissaient pas et insista sur l’intervention déterminante de Brunnehilde et de Gudrun.



Maurice intervint ensuite. Il s’adressait surtout aux deux garçons qui le découvraient. Il insista sur ce rêve d’amour qui avait guidé son existence, ce qui les fascina. Bien entendu Stanford posa une question :

- Et si Luana t’avait repoussé ?

Maurice réfléchit quelques instants avant de répondre :

- Je ne l’ai jamais imaginé car j’ai toujours pensé qu’elle m’attendait.

Luana renchérit en lui prenant tendrement la main:

- C’était évident pour nous deux.

Il reprit la parole :

- Je ne m’étais jamais interrogé mais pour te répondre je crois que j’aurais mis fin à mes jours ;

Et il conclut :

- Un rêve qui vous aide à vivre peut vous tuer si il se brise .


Un silence s’instaura après cette réponse puis Luana passa la parole à Estela.

Ce n’était plus la petite paysanne qui s’exprimait. Elle était devenue belle et parlait d’une voix douce et maîtrisée :

- Moi je n’avais même pas de rêve jusqu’à ce que Brunnehilde et Gudrun ne me sortent de ma prison . Je vivais dans une ferme, mariée à un tyran domestique et j’ étais résignée à survivre sans espoir jusqu’au moment où elles m’ont rendu ma fierté et ma liberté.

Elle décrit la soirée, la punition de son mari, sa libération ,son inscription à l’université et sa rencontre avec Guadalupe . Elle était très émue et avait communiqué son émotion à l’assistance . Elle termina par cette phrase :

- Je nourrissais les cochons il y a seulement quelques semaines et aujourd’hui j’étudie l’art espagnol de la renaissance.

Et tout le monde l’applaudit .

Stanford se pencha à l’oreille de Brunnehilde et lui murmura :

- Apparemment tu sauves tout le monde. J’ignorais que tu étais aussi mère Thérésa !

Son amoureuse qui ne connaissait pas cette Thérésa manifesta son agacement en haussant les épaules .


C’était le tour de Guadalupe. Elle s’était levée pour parler comme si elle dispensait son cours à l’université. Elle affichait une classe naturelle qui ne s’expliquait pas mais qui s’imposait aux autres . Elle avait en particulier ce raffinement de ne jamais abuser de son intelligence et de sa beauté et de se comporter avec humilité et politesse avec ses interlocuteurs moins doués.

Stanford avait résumé la situation en glissant à Brunnehilde qu’elle avait « la grâce », ce qui avait immédiatement suscité la jalousie de son amoureuse qui s’était aussitôt rassurée en se rappelant qu’elle était lesbienne.



Elle avait débuté son intervention en expliquant qu’elle n’avait pas l’habitude de s’afficher mais qu’elle ferait un effort car elle souhaitait ardemment s’intégrer dans cette nouvelle famille. Puis avait déroulé le fil de sa vie :


- Je suis née il y a 48 ans à Salamanque dans une famille bourgeoise catholique et conservatrice. Mon père était un industriel propriétaire d’une usine de fabrication d’engrais qui employait plusieurs milliers de salariés. Ma mère pianiste de formation avait abandonné son métier pour s’occuper de moi et de mon frère Enzo J’ai le souvenir d’une enfance choyée mais empreinte de la mélancolie diffusée par ma mère .

- Elle était malheureuse dans son rôle de femme au foyer délaissée par un mari débordé par ses affaires et occupé par ses maîtresses . Pourtant, elle avait joué son rôle à la perfection sans jamais se révolter sans doute écrasée par le poids des traditions. Elle ne se plaignait jamais mais parlait avec sa musique de telle sorte que je garde de mon enfance les sonorités de sonates mélancoliques qu’elle jouait quand elle était triste ou des polonaises de Chopin quand elle exprimait sa colère. Ce piano omniprésent est sans doute à l’origine de ma sensibilité artistique.

- J’étais bonne élève et j’ai réussi mon bac littéraire avec mention très bien .J’envisageais d’ entreprendre des études d’histoire de l’art mais mon père s’y était opposé car il voulait que je fasse des études de droit. Ma mère m’a soutenue et il a cédé en ajoutant que de toute façon, j’abandonnerai mes études pour me marier.

- J’ai connu quelques garçons pour faire comme mes copines de l’université mais aucun ne m’a plu au point d’envisager de poursuivre ma liaison. Je crois que ma mère m’avait involontairement donné une mauvaise image des hommes dont je détestais le machisme et la grossièreté. J’ai donc abandonné tout projet sentimental au profit des plaisirs de l’esprit. Je me suis jetée dans mes livres avec passion sans jamais regretter mon choix et je suis devenue professeure, elle insista sur le e qui féminisait le mot, d’université et experte internationale de l’art espagnol des 16ème et 17ème siècles. J’ai également créé un conservatoire de l’histoire qui regroupe une dizaine de chercheurs et d’informaticiens qui recueillent et répertorient les évènements susceptibles de disparaître de la mémoire collective.


Elle s’arrêta le temps de boire une gorgée d’eau et reprit malicieusement :

- Vous vous demandez sans doute si j’ai entretenu des relations avec d’autres femmes pendant cette période ?

Les deux garçons sourirent car c’était bien la question qu’ils se posaient.

Elle les regarda amicalement et poursuivit :

- Et bien non ! Bien sûr, j’ai été attirée par plusieurs femmes mais c’était pour leur intelligence et leur délicatesse mais je n’ai jamais songé à entreprendre une aventure sentimentale avec elles.

Elle laissa quelques secondes s’écouler et se tourna avec un sourire radieux vers sa compagne :

- Et puis Estela a débarqué et vous connaissez la suite



Luana profita du silence admiratif qui suivit l’intervention de Guadalupe pourservir le thé, ce qui offrit un peu de répit aux quatre derniers intervenants qui étaient tous angoissés de découvrir une mauvaise surprise dans le parcours des uns et des autres.

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