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Le rêve d'un rêve. Chapitre 18 : Sacré Stanford

  • StanislasMleski
  • 18 juil. 2023
  • 23 min de lecture

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C’était le tour de Stanford.

Il but une dernière gorgée, se leva et débuta son exposé avec émotion :

- Je suis né dans un panier en osier ou plutôt j’ai été abandonné dans un panier en osier devant les domicile de mes parents adoptifs.

- Emma et Jack vivaient tranquillement dans une ravissante maison anglaise de Pacific Heights à San Francisco. Ils n’avaient pas d’ enfants et avaient accepté cette blessure de l’existence en s’aménageant une vie confortable et en se repliant sur leur couple. Ils étaient tous les deux médecins, passionnés par leur métier, l’histoire, la musique et les voyages. Et puis un dimanche matin de printemps Emma a été dérangée par des cris de bébé et s’est rendue sur le perron où elle m’a trouvé. Elle m’a pris dans ses bras et elle est devenue aussitôt ma mère.

- Mon père m’a toujours dit qu’ils se sont agenouillés pour remercier Dieu de ce cadeau. Ma mère a aussitôt fait une déclaration de grossesse, prétendant qu’elle était enceinte de 4 mois, pour éviter les services sociaux, les enquêtes et les foyers d’orphelins. Elle a fermé son cabinet et elle est partie 5 mois à Vancouver où un gynécologue ami de mes parents a déclaré à l'État Civil qu’il l’ avait accouchée à son domicile . Ils m’ont appelé Moïse par référence au panier en osier et à mon arrivée inespérée

Il interrompit sa narration pour préciser :

- Mon nom est Moïse Bradford mais je préfère mon pseudonyme, Stanford.

Puis il poursuivit son récit :

- J’ai passé une petite enfance épanouie et heureuse mais malgré tout obscurcie par une angoisse inexplicable et le sentiment d’être différent de mes copains à l’école.

- Mes parents étaient plus âgés que ceux des autres, je n’avais pas de frères ou de sœurs et mon père ne m’emmenait jamais au base-ball ou au basket.

- Emma et Jack ne m’avaient pas caché qu’ils m’avaient recueilli sur le pas de leur porte. On ne sait pas comment naissent les bébés quand on a 4 ou 5 ans mais je sentais bien que cette explication était insuffisante.

- Ils avaient tous les deux perçu mon trouble et m’ont parlé le jour de mon sixième anniversaire . ils m’avaient préparé mon gâteau préféré aux fraises et au chocolat recouvert de crème chantilly et m’avaient offert le camion de pompiers dont je rêvais avec une grande échelle et des petits bonhommes rouges bien rangés dans la cabine. Emma avait soigneusement posé les tranches du gâteau dans nos assiettes à dessert et avait très naturellement ajouté que nous devions profiter de cette occasion pour penser à ma mère.

- Je n’ai pas été désarçonné car je pressentais depuis quelques mois que les conditions de ma naissance me seraient bientôt révélées. Elle m’a dit tout simplement que ma mère ne m’avait pas abandonné mais qu’elle m’avait confié à eux après m’avoir fait le plus beau cadeau, celui de la vie.

- Ensuite elle a fait son éloge en m’expliquant qu’elle était sans doute trop jeune pour pouvoir m’élever, qu’elle avait peut-être dissimulé sa grossesse pour éviter la réprobation familiale et qu’elle m’aimait si fort qu’elle s’était battue pour me garder en vie plutôt que d’avorter.

- J’avais les larmes aux yeux pendant qu’Emma me parlait parce que j’étais triste de l’ absence de cette mère avec laquelle j’aurais tant aimé partager ma part de gâteau et jouer avec mon camion de pompiers. Mais en même temps, ses mots m’avaient consolé : ma mère ne m’avait pas abandonné et elle m’aimait. A partir de ce moment, l'angoisse que je ressentais s’est métamorphosée en volonté farouche de lui prouver qu’elle avait eu raison de ma laisser la vie.

- Mon seul problème était de lui donner un visage, de la personnifier pour lui parler quand j’avais besoin de me confier. Alors je lui ai donné les traits de la statue de la vierge Marie de l’église catholique que fréquentaient mes parents. Je m’entretenais avec elle tous les dimanches pendant l’office. Je lui racontais ma semaine et elle me répondait, me donnait des conseils, m’engageait à respecter mes parents adoptifs et m’encourageait à travailler à l’école. Quand la messe se terminait, elle me disait qu’elle m’aimait et je lui envoyais discrètement un baiser.

- Elle a guidé toute ma vie et je ne me suis jamais réveillé sans lui offrir ma première pensée et jamais endormi sans lui envoyer un baiser. Elle n’était pas physiquement à mes côtés mais terriblement présente dans mon cœur et dans mon esprit.

- Je me suis réfugié dans le travail dès mes premières années scolaires car je pensais que ma réussite la rendrait heureuse. Je me suis toujours battu pour être le premier et chaque fin d’année scolaire je me rendais discrètement à l’église pour montrer mon bulletin scolaire à sa statue.

- Mon adolescence a été douloureuse pour moi et difficile pour Emma et Jack

Je leur en voulais inconsciemment d’être à la place de mes vrais parents et il arrivait que plusieurs semaines s’écoulent sans que je ne leur adresse la parole à l’exception des quelques mots indispensables à la vie en commun.

Ils ne m’ont fait aucun reproche pendant ces longues années car ils étaient conscients de mon désespoir et partageaient ma douleur.

Il était très ému. Luana l’interrompit :

- As tu essayé de la retrouver ?

Il prit son temps pour répondre :

- Non !

Et précisa ensuite :

- J’y ai bien entendu pensé mais j’ai décidé de respecter son choix. Elle savait où elle m’avait abandonné et elle n’est pas venue me rechercher.


Cet aveu l’avait épuisé et il demanda un peu de répit et une tasse de thé.

Toutes les filles bouleversées par sa confession s’étaient spontanément resserrées autour de lui pour lui témoigner leur compassion et leur affection. Brunnehilde lui avait passé son bras sur l’épaule et Guadalupe lui avait pris la main.



Luana lui demanda s’il ne préférait pas reporter la suite de sa présentation mais il lui répondit que leur communauté qui n’avait que quelques jours ne pouvait se fonder durablement que sur la vérité et l’acceptation du passé des autres .

Il ajouta qu’il avait trente huit ans à rattraper et reprit son récit .

- J’ai été admis à la fin de mes études secondaires dans le département de mathématiques et de physique de la prestigieuse université de Stanford où j’ai obtenu mon diplôme avec la mention très bien. Mon professeur le docteur Frienstag m’a tout naturellement proposé d’intégrer son laboratoire de physique nucléaire pour diriger ma thèse universitaire dont l’objet était la recherche dans le domaine encore peu maîtrisé de la fission et de la fusion nucléaire.

Il s’aperçut que ses auditeurs ne comprenaient pas de quoi il parlait et il se livra à un bref exercice pédagogique :

- La fission nucléaire est la désintégration d’un atome, le plus souvent un noyau d’uranium sous l’effet d’un bombardement de neutrons. La réaction de la fission du noyau visé va être si puissante qu’elle va fissurer d'autres atomes dans le cadre de ce qu’on qualifie de réaction en chaîne . Il s’agit du principe de la bombe à l’énergie libérée par l’explosion, d’une bombe à fission est équivalente à environ 14 000 tonnes de TNT. Ce sont les bombes qui ont détruit les villes et les régions d’Hiroshima et de Nagasaki et causé des centaines de milliers de victimes.

Gudrun époustouflée l’interrompit :

- Des centaines de milliers de morts avec un seul projectile !

Il lui répondit enflammé par sa démonstration :

- Et encore, ce n’est qu’une bombinette par rapport à la bombe H.

Elle se pencha vers sa sœur pour lui glisser :

- Je comprends qu’il le veuillent au walhalla car nous gagnerions le combat final avec de telles armes !

Pendant ce temps Stanford poursuivait :

- La fission nucléaire n’est qu’une plaisanterie à côté de la fusion nucléaire. Il ne s’agit plus d’éclater un noyau d’uranium mais de fusionner deux noyaux atomiques pour former un noyau plus lourd. La masse du noyau fusionné étant inférieure au cumul des noyaux fusionnés la différence est transformée en énergie comme l’indique la célèbre formule d’Einstein et produit une puissance phénoménale 1 000 fois plus importante que celle d’une bombe A.

Il remarqua que le groupe décrochait et il saisit deux fraises dans la panier à fruits :

- Si je veux fusionner deux fraises pour en faire une compote, je peux soit les chauffer, soit les écraser.

Il les écrasa dans une assiette formant une nouvelle matière et des résidus.

- C’est la différence de masse dont je parlais déclara-t-il à ses amis ébahis.

Il jugea son effet et continua son exposé avec passion :

- La fusion nucléaire se produit naturellement dans le soleil et la plupart des étoiles mais elle est très complexe à réaliser artificiellement. Classiquement, elle est obtenue grâce au dégagement de chaleur provenant de l’explosion d’une bombe à fission.

- C’est un peu comme si vous mettiez dans un shaker une bombe A, puis un peu de plutonium, de l’uranium et une rasade d’ eau lourde. Vous secouez ce qui déclenche la fission dont l’explosion va créer des rayons x qui vont allumer l’amorce en plutonium et déclencher la réaction de fusion.

Il laissa quelques secondes de récupération à son auditoire assommé par cette démonstration compliquée et reprit son discours quand ils eurent récupéré :

- La lourdeur de ce système est son inconvénient majeur parce qu’il nécessite une industrie de l’armement gigantesque qui épuise les ressources des grandes puissances et une logistique énorme pour tirer ce type de bombe, sous-marins, silos de missiles, avions ...C’est la raison pour laquelle de nombreux laboratoires travaillent à la simplification de la fusion nucléaire et que l’objet de ma thèse a été l’étude des réactions nucléaires des étoiles.

Mes parents adoptifs sont malheureusement décédés avant ma soutenance ; Jack d’abord d’une attaque cardiaque et Emma quelques semaines plus tard de tristesse. Elle avait perdu sa raison de vivre et a mis fin à ses jours. Elle m’a laissé une lettre pour me dire que j’avais été le plus grand bonheur de leur vie.

Je les aimais. Leur disparition a explosé les barrières de sécurité de ma personnalité et amplifié la déchirure de mon abandon. Ils m’avaient légué leur fortune de famille. J’ai démissionné de mon labo, j'ai acheté une cabane sur Ocean Beach pour me consacrer au surf et noyer mon désespoir dans le pacifique entre les courants et les requins.


Il adressa un grand sourire à son pote et précisa :

- C’est sur cette plage que j’ai rencontré Berkeley qui me soutient de son amitié depuis tant d’années. Il m’a convaincu de la vacuité de mon existence de surfeur et j’ai repris ma thèse que j’ai soutenue en émettant plusieurs hypothèses théoriques de simplification du processus de fusion.

Il prit un air dépité pour dire que ce fut le début de ses ennuis.


Mais le jour pâlissait et l’heure du dîner approchait. Luana décréta une pause repas qui fut bien accueillie par les auditeurs assommés par les démonstrations de Stanford .

La cuisinière avait préparé de délicieuses pizzas, le coucher de soleil était toujours aussi beau et l’air parfumé.

Cependant les walkyries n’avaient pas touché à leur plat, l’estomac noué par l’angoisse de sentir se rapprocher le moment de choisir entre leur devoir et leur désir .

Tous les autres étaient en forme, soulagés par cette confession publique qui les avait allégés du poids de leur passé et dévoraient leur repas en l’ accompagnant de vin local.

Luana demanda à Stanford s’il préférait reporter la suite à demain ou continuer son exposé.

Il choisit de poursuivre son récit.

Ses auditeurs s’installèrent confortablement dans les fauteuils du salon de jardin en sirotant une liqueur de l'Algarve au citron .

Stanford s’était levé pour s’exprimer éclairé par les bougies et la lueur de la pleine lune qui lui donnaient une apparence magique et surnaturelle :

- Si je vous ai dit tout à l’heure que mes ennuis avaient débuté après ma thèse c’est parce que j’ai été happé par la pieuvre .

- Happé par une pieuvre ? répéta Luana interrogative

- C’est une métaphore pour désigner la Cia répondit ’il. Ils avaient été informés de mes travaux et en avaient saisi l’intérêt militaire. J’ai compris bien plus tard qu’ils m’avaient manipulé et surveillé pendant des années.

Un organisme d'État a contacté mon directeur de laboratoire, le professeur Frienstag, pour lui proposer de financer mes recherches et de m’adjoindre une équipe de collaborateurs pour me permettre de progresser plus rapidement.


A leur grande surprise j’ai refusé car je suis individualiste et je n’avais pas envie de supporter le fardeau d’une équipe de chercheurs plus ou moins compétents. Mais surtout, je voulais faire de la physique fondamentale car ce mécanisme de fusion que je cherchais à comprendre était peut-être une des clefs d’explication du big bang et donc de la création de l’univers.

Quelques semaines plus tard, mon directeur de laboratoire a été muté et remplacé par un professeur de physique de Princeton qui s’intéressait d’un peu trop près à mes travaux. Il avait tenté de me convaincre de l’intérêt d’une collaboration étroite entre nous compte tenu de l’expérience qu’il avait acquise comme élève du célébrissime Oppenheimer. J’avais poliment refusé. Il avait alors tenté de me contrôler en décidant que chaque chercheur du labo devait lui rendre compte toutes les semaines de l’évolution de ses travaux et avait fixé une grille hebdomadaire d’entretiens. Pour moi c’était le vendredi à 14h. Bien entendu je ne m’étais pas rendu au premier rendez-vous . Il a déboulé comme un fou dans mon bureau en hurlant qu’il exigeait que je l’informe de l’évolution de mes travaux.

Je lui ai répondu que je n’en avais pas l’intention et lui ai proposé de démissionner.

Il a refusé et compris qu’il n’avait aucune emprise sur moi. J’avais 32 ans, j’étais riche, je n’avais besoin que d’un ordinateur et de mon cerveau pour mes recherches et toutes les universités étaient prêtes à m’accueillir. Alors ils ont eu une idée machiavélique pour me contrôler ; ils m’ont choisi ma femme.


Brunnehilde faillit s’étrangler en apprenant cette nouvelle.

Stanford s’interrompit et se déplaça pour se servir un verre de liqueur au citron qu’il dégusta doucement, trop doucement pour ses auditeurs impatients de découvrir cet aspect de sa vie.

Il regagna sa place et reprit son exposé :

- Je n’avais jamais ressenti le besoin de vivre avec une femme. Je crois que ma mère occupait tout l’espace affectif disponible. J’avais eu quelques aventures décevantes et sans lendemain et je consacrai mon temps disponible au surf et à ma voiture.

Je m’étais acheté une Ford Mustang GT rouge modèle 68, la même que celle que pilotait Steve Mcqueen dans Bullit et que j’avais restaurée pendant tout une année en parcourant tout le nord de la Californie pour trouver des pièces d’origine . J’avais réussi à la rénover et j’en étais très fier. Je l’avais équipée d’une galerie d’époque pour transporter ma planche de surf et nous nous rendions les week end ma Mustang et moi à ma cabane sur mon spot de surf d’Ocean Beach.


Nous y refaisions le monde avec Berkeley et mes autres potes en jouant de la guitare et en fumant des joints. Les dimanches de mauvais temps nous partions avec Berkeley et sa Jaguar E faire des courses dans les montagnes proches de Frisco. Bref ma vie était bien remplie entre mes recherches et mes loisirs jusqu’à ce que le pieuvre ne mette Ivana sur mon chemin.


Je l’ai rencontrée une première fois au congrès de physique quantique organisé par mon université. Je m’emmerdais au bar du cocktail de clôture des travaux et j’avais remarqué en observant l’assistance une très jolie femme cernée par une meute de mâles en rut ce qui m’avait fait marrer dans mon coin. J’entamais mon deuxième Bourbon quand j’aperçus mon crétin de directeur se diriger vers moi suivi par cette créature de rêve .


En quelques instants Brunnehilde était devenue folle de jalousie à l’évocation de cette femme. Ses muscles s’étaient tendus comme si elle s’apprêtait à bondir sur un adversaire. Gudrun qui connaissait sa sœur lui prit fermement le bras en lui murmurant qu’il avait le droit d’avoir un passé ce qui sembla la détendre un tout petit peu.

Son amoureux ne s’était pas aperçu de son trouble et continuait son récit :

- Il était venu me la présenter comme journaliste scientifique au San Francisco Bay Times . Elle était absolument magnifique, presque idéale avec de longs cheveux blonds remontés en chignon qui surmontaient un visage à l’ovale parfait décoré par des yeux noisette en amande et des lèvres pulpeuses qui dévoilaient un sourire éblouissant.

C’était trop pour Brunnehilde qui explosa :

- Tu voudrais peut être qu’elle soit à ma place ce soir !

Stanford fut désarçonné pendant quelques secondes avant de se reprendre en souriant :

- Mais c’était il y a plusieurs années et je ne l’aimais pas .

Il se déplaça vers elle, l’embrassa sur la bouche sous le regard attendri des autres et l’interpella :

- Çà va mieux maintenant ?

Confuse comme une gamine qui a fait une bêtise, son amoureuse lui répondit que oui.

Il reprit son récit :

- Mais elle ne m’attirait pas. Nous échangeâmes quelques banalités, et je pris congés après avoir avalé mon verre.

Il jeta un regard appuyé à Brunnehilde qui lui envoya un baiser de réconciliation.

Il continua :

- Le week end suivant je refaisais le monde avec une bande de potes devant ma cabane d’Ocean Beach quand ils décrochèrent soudain de la conversation le regard attiré par un événement qui se déroulait sur le rivage : c’était Ivana qui sortait de l’eau comme Ursula Andress dans Docteur No. Elle m’avait repéré, me fit un grand signe des mains et se dirigea vers moi, traversant la plage en roulant des hanches et en bombant la poitrine. Elle s’approcha et déclara :

- - Nous nous sommes rencontrés il y a quelques jours mais j’avais oublié de vous donner mon numéro de téléphone portable.

Et elle s’accroupit et écrivit son numéro sur le sable pendant qu’un de ses seins s’échappait de son soutien gorge. Elle s’excusa d’un air faussement confus et reprit son chemin vers le parking en me gratifiant d’un sonore : « A Bientôt ».

Mes camarades de plage me regardèrent alors comme si j’avais décroché le prix Nobel.

Je me souviens très exactement de la phrase de Berkeley : « Putain, cette meuff te kiff et toi tu joues les indifférents alors que tous les mecs de la plage rêvent de cette gonzesse . »

Je répondis qu’elle ne m’attirait pas et j’effaçai son numéro d’un geste de la main à la grande stupéfaction de mes potes.


J’avais déjà oublié ces événements quand elle me téléphona deux ou trois semaines plus tard. Elle rigolait en me disant qu’elle j’étais bien le seul homme auquel elle avait donné son numéro de téléphone qui ne l’avait pas rappelée et elle m’invita à dîner quelques jours plus tard dans un resto vegan branché de Frisco.

Brunnehilde ne put s’empêcher de murmurer « Quelle salope » ce qui fit sourire tout le monde en particulier le narrateur qui poursuivit :

- Elle était sympa et j’avais accepté sur le moment malgré les réticences intuitives qu’elle m’inspirait. Je m’en été ouvert à Berkeley qui m’avait dit que je devais construire ma vie et que je ne pourrai pas rester éternellement célibataire et vivre entre ma mustang et ma cabane sur la plage. Il avait raison, je suis allé au rendez vous et tout s’est déroulé comme une réaction en chaîne. La première rencontre, les autres, l’installation chez moi et enfin le mariage quelques mois plus tard . Je me suis laissé porter par le courant pendant toute cette période sans jamais me départir de la méfiance qu’elle m'inspirait. Nous n’avons jamais eu de relations passionnées mais des rapports que je qualifierais de raisonnables. Ivana jouait l’épouse parfaite mais je m’ennuyais avec elle. Je pensais que c’était la caractéristique de la vie conjugale. Nous nous sommes très rapidement éloignés affectivement l’un de l’autre tout en maintenant notre apparence de couple parfait pour l’extérieur. Elle détestait le milieu du surf et préférait rester le week-end dans notre maison à préparer ses articles ou à lire de la littérature anglaise dont elle était passionnée. Elle m’interrogeait souvent sur l’état d’avancement de mes recherches ce qui m’agaçait et m’interpelait . Une lumière rouge s’allumait alors dans mon inconscient et je lui répondais de manière générale.


- Pendant la première année de notre mariage je restais intellectuellement prisonnier pour mes recherches du préjugé de l’utilisation de la chaleur pour provoquer la fusion nucléaire mais je cherchais à remplacer le dégagement d’énergie de la fission par une autre source de chaleur et je travaillais sur les mécanismes de fusion naturelle au sein du soleil et des étoiles pour les miniaturiser une fois que je les aurai compris. L’idée de trouver les mécanismes de la fusion naturelle était prometteuse mais d’une extraordinaire complexité.

- Ivana connaissait cette orientation de mon analyse et cherchait toujours à en savoir plus . Pour être tranquille je lui répondais que je progressais et que j’espérais obtenir des résultats dans les années à venir.


- En réalité, personne n’était en mesure de contrôler mon activité de recherche ou de m’imposer quoi que ce soit. J’assumais mon quota de cours magistraux et je dirigeais quelques thèses comme mon contrat de chercheur l’exigeait. Je consacrais le reste du temps à ma réflexion personnelle que je consignais sur mon macbook et que je sauvegardais sur une simple clef Usb codée que je ramenais tous les soirs chez moi.


- Et puis un jour je l’ai surprise à m’espionner. C’était un dimanche où j’étais rentré plus tôt de la plage car j’avais endommagé la dérive de mon surf. Elle ne m’avait pas entendu arriver et je l’ai aperçue en train de manipuler mon ordinateur en passant devant mon bureau mais je me suis comporté comme si je ne l’avais pas vue.

- J’ai subitement tout compris. La rencontre « inopinée », la mise en scène sur la plage et toute la suite.....Ma femme était une espionne au service de la Cia !

L’examen de mon ordinateur m’a appris le lendemain qu’elle téléchargeait systématiquement le résultat de mes recherches sans doute pour les confier à son employeur. J’aurais pu divorcer mais à quoi bon, ils auraient trouvé un autre moyen peut être plus désagréable de me surveiller.

Je décidai alors de me moquer d’eux et je transférais tous les soirs mes travaux sur ma clef usb et les remplaçais par un film pornographique. J’aurais été plus intelligent d’éviter cette plaisanterie de potache car ils s’aperçurent immédiatement que je me moquais d’eux et trouvèrent la parade.

Je fus convoqué la semaine suivante dans le bureau du directeur en présence d’un type grand et costaud avec des cheveux en brosse, une barbe et une moustache . Le patron m’expliqua que mes recherches étaient désormais classées d’intérêt national, que j’avais l’interdiction de quitter le territoire des USA et que je devais être protégé. L’imbécile qui était à côté de lui était mon garde du corps, s’appelait John et était un spécialiste des caméras de surveillance dont il avait l’intention de truffer ma maison et mon bureau.

Guadalupe scandalisée l’interrompit :

- Mais tu ne t’es pas rebellé ?

- Pas tout de suite, tu ne peux pas bouger quand tu as un pistolet sur la tempe ! Mais dès cet instant j'ai décidé de préparer ma fuite.

- J’ai peu à peu vendu tous mes avoirs pour acheter de l’or dans une banque suisse ce qui te permet de te faire envoyer de l’argent dans n’importe quelle banque au monde sur un seul appel téléphonique avec le code et sans que le virement puisse être tracé.

- Bien entendu le fisc m’a contrôlé mais je ne commettais aucune infraction car cet argent provenait de mon héritage et ils ont crû mon explication de conversion de mon patrimoine dans des valeurs refuge domiciliées dans la banque la plus sûre de la planète.

J’étais espionné 24h/24. John me conduisait le matin au labo dans une limousine noire et me ramenait le soir chez moi . La maison était cernée de caméras de sécurité qui surveillaient l’extérieur et l’intérieur à l’exception des chambres et des salles de bains. Son IPhone lui servait de moniteur et il pouvait à tout moment vérifier ce qui se passait..


- Ce fut une période noire de mon histoire personnelle. Je vivais avec une espionne, chacun de mes gestes était observé et mes recherches n’aboutissaient pas car je me heurtais à des obstacles infranchissables à chaque fois que j’avais l’impression de franchir une étape . J’avais le sentiment de jouer aux échecs avec quelqu’un de plus fort que moi qui lisait dans mes pensées et déjouait mes coups.

- J’avais la conviction platonicienne de l’unité de l’être dispersé dans l’univers par l’explosion primordiale et la certitude que chaque atome avait son corollaire d’une charge opposée à la sienne qui cherchait à retrouver la fusion des origines .

- Pour valider cette idée j’avais besoin d’accéder aux archives de mon labo pour recenser tous les atomes connus et leurs caractéristiques afin de les confronter avec celles de mon atome d’hydrogène témoin. Bien entendu tout le service a trouvé mon idée géniale et pensait que je m’orientais sur la bonne voie.

- Mais mes comparaisons n’ont pas abouti, aucun atome répertorié ne correspondait à celui que je cherchais. Je pense qu’il existe quelque part dans le soleil ou dans une autre étoile mais qu’il est encore inaccessible.

Je me suis alors rabattu sur l’idée classique de la fusion sous l’effet de la chaleur mais en remplaçant le dégagement de puissance d’une bombe A par un effet laser à haute concentration. j’ai conçu la théorie d’un tube laser à haute puissance. C’est déjà en soi une arme redoutable capable de descendre un avion, de couler un cuirassier ou de détruire une ville mais je voulais m’en servir comme déclencheur de la fusion. L’ hypothèse était mathématiquement envisageable.

J’ai réussi dans le plus grand secret à en réaliser un exemplaire démontable dont j’avais caché les trois éléments dans des caisses où je rangeais mes affaires de surf. J’avais également pris la précaution de fausser mes résultats en introduisant des erreurs de raisonnement afin de les empêcher d’utiliser mes résultats théoriques .

Il ne restait plus qu’à mettre quelques atomes d’uranium au bout du canon pour tenter l’expérimentation. Mais je ne l’ai pas fait car j’ai rencontré St Jean.


Tout le monde dans l’assemblée connaissait St Jean mais personne ne comprenait l’allusion. Il demanda à ses interlocuteurs s’ils souhaitaient le report du récit au lendemain compte tenu de l’heure tardive mais ils lui choisirent en chœur de poursuivre tant ils étaient impatients de découvrir la suite de ses aventures.

Stanford regarda en soupirant les étoiles qui éclairaient la nuit grâce à cette fusion nucléaire dont le mystère lui échappait. Il se servit une nouvelle rasade de liqueur, Berkeley roula des joints pour tout le monde même pour Maurice et Luana et il reprit son récit.

- Nous étions mariés depuis trois ans et nous jouions toujours au chat et à la souris avec Ivana. John était devenu son amant ce qui m’avait consterné, non pas que je m’offusque qu’Ivana ait un amant mais que ce soit un crétin disposant tout juste de 300 mots de vocabulaire avec son caractère ombrageux et ses attitudes prétentieuses .

- L'événement a eu lieu pendant une croisière scientifique organisée par Princeton dans les îles grecques. J’étais bien entendu accompagné de mes deux boulets.


- Tout s’est déroulé sur l’île de Patmos. Le paquebot relâchait pendant 24 heures dans le port et nous avions une journée libre pour découvrir l’île. Cette île est une image de carte postale avec des maisons blanches, des criques et une mer d’un bleu profond . Elle se répartit en deux villages, le premier sur le port et le second au sommet de la montagne autour du monastère consacré à St Jean puisque c’est le lieu où l’apôtre exilé par les Romains a écrit l’Apocalypse réfugié dans une grotte.


- Le programme de la journée prévoyait un déjeuner au port, une baignade sur la plus belle plage de la côte puis la visite de la grotte, du monastère et enfin un dîner folklorique

- Je m’étais emmerdé toute la journée et j’étais exaspéré par le comportement d’Ivana qui avait joué la star sur la plage, faisant admirer son physique de rêve en multipliant les allers-retours entre la mer et le sable ou en jouant dans l’eau avec son imbécile d’amant devant les yeux ébahis des autres congressistes. Pour ce qui me concerne je m’étais réfugié à l’ombre de la terrasse du restaurant de plage pour terminer la lecture de l’Apocalypse et comprendre que l’holocauste final n’était que le présage de la renaissance d’un nouveau monde.

- Je lisais cette phrase merveilleuse : « Au milieu de la place de la ville et sur les deux bords du fleuve, il y avait un arbre de vie, produisant douze fois des fruits, rendant son fruit chaque mois et dont les feuilles servaient à la guérison des nations. ». Quand le chauffeur du bus me tapa sur l’épaule pour me signifier le moment du départ .

- La grotte était située à quelques virages du monastère mais aucun bus ne stationnait sur le parking. Le chauffeur s’arrêta sans couper le moteur, alla aux nouvelles et remonta dans le bus en lançant un fataliste « strike ». Les gardiens du lieu jouaient au sport national grec, la grève.

- J’étais furieux et dépité de rater cette visite de l’endroit où avait été rédigé l’ouvrage. J’en ai ressenti une forte frustration qui m’a accompagné tout le reste de la soirée .

- C’est au milieu du dîner que j’ai décidé de m’éclipser et de visiter la grotte clandestinement . La patron du restaurant jouait du bouzouki et la plupart des congressistes se prenaient au jeu et dansaient le sirtaki sur la terrasse comme des imbéciles de touristes. Bien entendu, la meneuse de revue était Ivana. Ils étaient tous si occupés à rejouer les enfants du Pirée que personne ne remarqua ma disparition. Quelques virages plus bas j’étais devant la grille qui protégeait l’entrée de la grotte . La serrure rouillée céda rapidement à la lame de mon couteau suisse et je m’avançai dans l’enceinte sacrée. La grotte largement ouverte sur l’extérieur était facilement accessible et je m’y suis aventuré avec la sensation de pénétrer dans les pages de l’Apocalypse. La fraîcheur y contrastait avec la canicule de l’extérieur, le silence régnait, l’endroit rayonnait de spiritualité et de sérénité et je ressentis une extase qui éleva mon esprit vers un autre univers.


- Je m’étais allongé sur une faille du rocher qui pouvait ressembler à une couchette et le m’endormis en méditant sur l’ouverture du septième sceau et ces sauterelles infernales qui sortaient du puits pour envahir la terre avec des cornes dorées, des dents de lion, des cuirasses de fer et dont le bruit des ailes était comparable à celui des chars de combats lancés à l’assaut.


- Je crus qu’elles avaient pénétré dans la grotte en ressentant des coups dans les côtes qui me réveillèrent pour me retrouver en face d’un vieillard décharné habillé d’une robe blanche et le visage recouvert d’une capuche .

- Il avait un regard illuminé par un rayonnement intérieur et m’ordonna de dégager de son lit et de m’assoir à ses pieds.

- Il consentit à me parler après qu’il se fût confortablement installé : « Je suis St Jean et j’aime revenir dans ma grotte. J’y passe tout l’hiver en dehors de la saison touristique et je m’y installe en été pendant les périodes de grève, c’est à dire presque tout le temps ajouta t’il en éclatant de rire

- Puis il me demanda ce que je faisais dans son domicile et je lui expliquai que j’y avais été attiré par la lecture de l’Apocalypse et que j’avais beaucoup de questions à lui poser à ce sujet.

- Il coupa court d’un geste de la main :

- « L’Apocalypse est un ouvrage allégorique dont il faut juste retenir le sens. » J’objectai que ses descriptions étaient pourtant précises et détaillées et il m’interrompit encore une fois :

- « J’ai écrit cet ouvrage il y a 20 siècles et à cette époque la grotte était entourée de cannabis sauvage. J’y ai vu un geste du Seigneur et j’ai utilisé ce stimulant pour rédiger ces pages magnifiques et ésotériques qui occupent toujours les exégètes.

Je concède que le style est quelquefois un peu baroque et exubérant mais la philosophie de l’ouvrage est simple, Dieu vous a confié un monde parfait et équilibré qui permettait à chaque humain de vivre en paix mais votre avidité et votre goût du pouvoir ont détruit le bijou dont vous aviez la charge. Votre humanité est pervertie par les mécanismes que vous avez enclenchés qui sont désormais irréversibles. Votre destruction est la seule solution envisageable pour ouvrir un nouveau cycle, une ère de renaissance qui sera l’œuvre des élus qui auront échappé au sacrifice expiateur »

- J’étais très impressionné par la puissance de la parole qui émanait de ce vieillard rabougri comme si ses mots étaient inspirés par le divinité.


Un grand silence régnait dans l’auditoire de Stanford. Tous s’étaient instinctivement serrés les uns contre les autres comme pour se rassurer et affronter la suite du récit. Gudrun fit remarquer que c’était un peu comme le ragnarok mais personne ne prêta attention à sa remarque.

Luana lui demanda s’il n’avait pas été terrorisé par la situation.

Il répondit :

- Si pendant quelques instants, je m’étais recroquevillé au fond de la grotte, mais il est redescendu sur terre et a changé de conversation comme si rien ne s’était passé et il m’a demandé si je n’avais pas un peu d’herbe sur moi.

- Je lui ai roulé un joint et nous avons eu une conversation plus détendue. Il m’a demandé de lui parler de moi et je lui ai raconté ma vie comme je viens de vous la relater.

Guadalupe l’interrompit pour lui demander s’il lui avait parlé de ses recherches sur la fusion nucléaire :

- J’ai essayé d’éviter le sujet mais il lisait en moi comme dans un livre ouvert et je lui ai avoué que j’avais recherché les mécanismes de la fusion naturelle mais que j’avais abandonné. Il s’est alors à nouveau transfiguré et j’ai cru qu’il allait me réduire en cendre. Il m’ a transpercé du regard a déclaré d’une voix qui fit trembler les murs de la grotte : « La fusion de l’atome est le résultat de la puissance de dieu quand il a créé l’univers, les étoiles et la lumière. Vous avez bricolé une bombe sale et radioactive en essayant de l’imiter et contribué ainsi à votre future destruction. »

- Puis il se calma et me demanda de lui rouler un nouveau joint. Il tira longuement sur la cigarette pour se détendre puis s’assit amicalement à côté de moi

- « Écoute moi attentivement Moïse. »

- Il connaissait mon prénom sans ma l’avoir demandé et poursuivit :

- « Vous avez déjà brisé les six premiers sceaux de l’ange exterminateur. Vous avez fait disparaître la majorité des espèces animales et végétales, votre terre est ravagée par des incendies gigantesques pendant que des continents sont rongés par le sel de la mer, le sable des déserts engloutit les arbres, les peuples se font la guerre partout sur la planète en exterminant des foules d’innocents, des virus mortels se sont échappés des laboratoires et vous infectent et quelques psychopathes possèdent le feu de la mort que vous avez tenté de voler au Créateur .

Le seigneur n’a plus le choix, la mauvaise herbe va brûler pour libérer les jeunes pousses de la renaissance de la vie. l’Apocalypse approche et il est temps pour toi de te mettre du côté des élus et surtout d’abandonner ton projet insensé de découvrir le secret de la fusion qui est le mystère de Dieu Il me signa sur le front, me dit qu’il m’avertirait le jour de l’ouverture du septième sceau et me congédia car il avait sommeil.

Ses sept autres compagnons furent médusés et le silence s’abattit sur l’assemblée car chacun essayait de prendre la mesure des déclarations de Stanford. Guadalupe interrompit le silence en lui posant la question que tout le monde attendait :

- As tu la certitude de ne pas avoir rêvé ?

Stanford lui répondit :

- Je me le suis souvent demandé. Le seul élément objectif que je possède est que j’ai bien passé quelques heures dans cette grotte car j’ai été interpellé à la sortie par une bagnole de flics qui avaient été rameutés par John et ma femme qui me cherchaient dans toute l’île. Pour le reste, était- ce la réalité ou un songe, je ne pourrais pas le dire.

Puis il prit le temps nécessaire pour donner du poids à sa réponse :

- Par contre, je peux affirmer que ce songe ou cette prophétie ont été une révélation qui a bouleversé mon existence.



La lune disparaissait, l’aurore se levait sur la plaine et Luana décréta le report des débats le lendemain après-midi.

Ils regagnèrent tous leur chambre un peu différents de ce qu’ils étaient avant le début de cet après-midi mémorable. Cette étrange prophétie les questionnait tous sur leur passé et sur leurs futurs choix de vie en même temps qu’elle confortait leur amour pour leur compagnon ou leur compagne et le choix de partager l’épreuve de la vie à ses côtés.

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