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Le rêve d'un rêve. Chapitre 19 : Choisir

  • StanislasMleski
  • 28 sept. 2023
  • 23 min de lecture


Ils s’étaient tous levés vers midi, impatients de connaître la suite de son récit et de découvrir les détails de la vie de Berkeley, de Brunnehilde et de Gudrun.

Stanford s’était réveillé avant son amoureuse et l’avait observée longuement se demandant comment cette femme venue d’ailleurs pouvait être à la fois cette tueuse implacable et cette délicieuse amoureuse. Son désir avait flambé en admirant son corps parfait dévoilé par la lumière qui filtrait des volets et il lui avait fait l’amour en la pénétrant presque sans la réveiller comme s’il était un rêve érotique qui venait la visiter.


Luana avait préparé un brunch complet sur la terrasse et le café servi, tout le monde avait repris sa place pour écouter les intervenants.


Stanford termina son café et reprit son récit :

- J’avais expliqué aux flics qui m’avaient récupéré que j’avais trop bu et que je m’étais endormi dans les broussailles à proximité de la grotte et ils m’avaient ramené au bateau où ma femme m’attendait en feignant d’être affolée.

L’expérience de la grotte m’avait métamorphosé, j’avais choisi mon avenir et ma décision était prise. Je ne serai pas un des cavaliers de l’apocalypse en continuant à fabriquer des armes de terreur et je vivrai en communion avec l’univers en tentant de préserver notre monde.


Maurice l’interrompit pour lui demander comment il avait réussi à se soustraire à la Cia et à ses geôliers .

Stanford répondit que ce fut difficile et le résultat d’un plan minutieusement préparé qu’il exposa comme une démonstration mathématique :

- J’avais plusieurs problèmes à résoudre : m’assurer le concours de Berkeley mon meilleur ami sans lequel je n’aurais jamais tenté l’aventure, planquer mon bazooka laser pour éviter qu’ils ne se rendent compte que j’avais concrétisé mes recherches, m’ échapper de ma prison et trouver un point de chute quelque part sur la terre.

- Berkeley a été emballé par mon idée de tout larguer car lui-même y avait déjà songé. La situation était beaucoup plus simple pour lui car personne ne l'espionnait, son seul bagage était constitué de quelques kilos de graines précieuses et il n’avait plus de famille.

- C’était plus difficile pour moi car mes espions avaient renforcé leur surveillance et guettaient chacun de mes faits et gestes. J’ai réussi à passer le bazooka à Berkeley sur le spot de surf en échangeant mon sac de sport dans lequel j’avais rangé l’arme démontée avec celui de mon pote qui était de la même marque et qui contenait ses palmes.

- Nous avions décidé de nous embarquer sur un des nombreux cargos qui partent de San Francisco pour l'Amérique du sud ou l’Europe et qui réservent quelques cabines à des touristes .

- J’avais également fabriqué trois jeux de faux passeports pour chacun grâce à un logiciel que j’avais hacké sur l’ordinateur d’un pote de John spécialiste de ce genre de falsifications.

- Berkeley qui était un habitué du port avait trouvé deux cabines sur un cargo qui faisait une escale au Portugal et dont le départ était programmé quelques jours plus tard. Nous n’avions prévu aucune destination particulière mais cette escale au Portugal nous avait donné l’idée de choisir ce pays qui nous emballait car nous avions découvert en feuilletant des catalogues de voyage qu’il contenait de nombreux spots de surf. J’ai donc payé les deux billets, 6000 dollars chacun. Nous étions excités comme des gamins qui partent en vacances mais il restait encore une étape à franchir : me débarrasser de John et de ma femme.

Estela emportée par le récit l’interrompit pour lui demander comment il avait réussi à leur fausser compagnie.

Stanford répondit calmement :

- Je les ai tués.

Cette réaction si spontanée et si calme jeta un froid dans une partie de l’assemblée mais suscita un sourire discret chez les walkyries et même un soupçon d’admiration chez Gudrun qui plaça discrètement à sa soeur :

- Et bien ton Stanford, avec son visage d’ange....

Il devina à la mine de ses amis que sa réponse avait été un peu lapidaire et il tempéra son propos :

- En fait je les ai assassinés, mais proprement, en provoquant un accident.

Un soupir de soulagement parvint de ses auditeurs qui considéraient sans doute qu’un meurtre raffiné pouvait se justifier.

Il poursuivit :

- J’avais remarqué en surveillant le compteur kilométrique qu’ils utilisaient de temps en temps ma Mustang sans doute pour se rendre dans les montagnes et rejoindre un motel. John bavait devant cette voiture et ce crétin avait sans doute pensé qu’il avait droit à la voiture puisqu’il baisait le femme du propriétaire. Ils l’utilisaient surtout les jours où j’étais retenu tard le soir au laboratoire. J’avais donc décidé de me servir de leur indélicatesse.

Le meurtre était programmé le jour même de notre départ. Notre cargo quittait le port le vendredi à 20 heures ce qui signifiait qu’ils devaient mourir dans l’après-midi. Le scénario imaginé se déroula à la perfection.

- J’avais annoncé à ma femme dès le lundi que je participerai le vendredi à un congrès à Seattle et que je rentrerai par l’avion du samedi matin. Entre temps j’avais scié le câble de freinage de ma voiture de telle sorte qu’il ne résiste qu’une petite heure. Le jeudi dans la soirée j’avais envoyé un mail à mon directeur pour lui indiquer que j’étais souffrant et que je n’irai pas à Seattle .Bien entendu je n’en avais parlé ni à Ivana ni à John.


- L’imbécile m’avait amené à l’aéroport la mine réjouie à la perspective de m’emprunter ma femme et ma mustang sans savoir qu’il commettrait son dernier forfait.

- Berkeley m’avait récupéré à 10 h à l’aéroport avec une voiture de location dans le coffre de laquelle étaient rangées nos affaires de voyage, un sac qui contenait les graines de Berkeley et un autre mon bazooka.

- Nous nous sommes ensuite garés discrètement devant ma maison. Ils sont sortis vers 14h, comme prévu avec ma voiture.

- J’ai aperçu distinctement John au volant qui arborait ce sourire imbécile des abrutis fiers de conduire une belle femme dans une belle bagnole. Ils se sont dirigés vers le nord de la ville et ont emprunté la route de montagne en direction du lac Berryessa. Nous avions du mal à les suivre car ils roulaient vite sur la route déserte. Et puis l’horloge du destin a sonné. Tout juste une heure après leur départ, John a perdu le contrôle du véhicule qui a traversé la route pour tomber dans le ravin.

- Nous sommes arrivés sur les lieux quelques minutes plus tard. La voiture était un peu en contrebas et aucun des deux ne bougeait.

- J’ai réussi à m’approcher en dévalant la colline. Ils semblaient morts mais l’imbécile a émis quelques râles quand je lui ai pris sa montre pour la remplacer par la mienne. Il a même ouvert les yeux en me regardant comme s’il voyait le diable. Je lui ai adressé un doigt d’honneur et suis remonté jusqu’à la route . Nous nous sommes ensuite éloignés de quelques centaine de mètres pour nous dissimuler, j’ai remonté mon bazooka dont j’ai réglé le puissance au minimum et j’ai tiré sur la voiture en visant le réservoir d’essence . La mustang a explosé comme une pastèque et s’est embrasée.


- Nous avons ensuite calmement rejoint le centre de Frisco pour poster une lettre de démission signée par John qui expliquait qu’il quittait le service pour rejoindre la femme de sa vie en Thailande. Puis nous avons rendu la voiture de location et marché jusqu’au port pour embarquer sur notre cargo.

Le scénario s’était parfaitement réalisé et nous a laissé le temps de fuite suffisant pour disparaître car pour la Cia j’étais mort avec ma femme dans un accident de voiture ce qui était confirmé par l’identification du véhicule et les restes de ma montre en acier qui avait été reconnue par mes collègues. Quant à la démission de John, personne n’y avait accordé la moindre attention.

Le groupe était époustouflé par la perfection du crime .

Luana avait servi du thé accompagné de délicieux gâteaux au beurre pour permettre aux auditeurs de récupérer de leurs émotions et de digérer la découverte de cet aspect de la personnalité de leur nouvel ami mais Stanford reprit rapidement son récit :

- Le cargo choisi par Berkeley était un porte conteneur gigantesque de 220 mètres de long, 28 de large pour une hauteur de 19 mètres et d’une capacité de 3 000 unités. C’était un navire espagnol battant pavillon panaméen. Le commandant était argentin et il était secondé par un russe et un slovaque. Le responsable des machines était un polonais et celui du fret un chilien. Les 25 autres marins étaient tous philippins. La destination du bateau était Oslo avec des escales à Carthagène, Valparaiso, Lisbonne et le Havre.

- Deux cabines confortables nous avaient été attribuées situées en haut du château juste sous la salle de commandement. Elles étaient meublées d’un lit, d’une table et d’un canapé et équipées de toilettes et d’une salle de bains .

- Nous avions déclaré que nous étions deux traders qui avaient décidé de larguer les amarres après un burn out.

- Le commandant était un personnage de composition, grand, fort, truculent et régnait en tyran sur son bateau . il nous appelait « ses gringos ». Les officiers étaient sympathiques mais réservés et les marins discrets et effacés. Le navire ne possédait pas de wi-fi et nous étions coupés du monde .

- Nous occupions nos journées à observer la mer et à réfléchir sur nos choix et sur notre avenir. Berkeley restait dans sa cabine à regarder ses graines pousser dans des pots de fleurs. Moi je me demandais comment je pourrai réparer mes erreurs

Le temps était rythmé par les trois repas quotidiens pris avec les officiers aux heures réglementaires de la marine marchande : le petit déjeuner de 7H30 à 8H, le déjeuner de midi à 12H30 et le dîner de 17H30 à 18H. Nous étions servis par un steward, la nourriture était acceptable mais nous étions exclus de la conversation qui portait essentiellement sur la navigation. Ils se méfiaient de notre image de baba cools désœuvrés et s’interrogeaient sur notre comportement et notre motivation.

En fait, je crois que nous étions comme des malades en phase de récupération bercés par le roulis du monstre dans lequel nous voyagions.

Cependant notre calme fut interrompu par des cris et des bruits de canon une après midi, quelques semaines après notre départ, et à une journée de navigation du port de Carthagène. Nous nous précipitâmes au poste de commandement.

Les officiers et les pilotes étaient pétrifiés. Je demandai ce qui se passait et le commandant pointa le doigt vers un vaisseau au loin qui nous bombardait sans nous toucher pour nous contraindre à nous arrêter. Il me passa ses jumelles en disant « piratas » . Il dégoulinait de trouille ce que je compris en découvrant un cargo rouillé et fumant, équipé de canons et à bord duquel se tenaient au moins une centaine d’hommes avec des têtes de tueurs armés de fusils d‘assaut.

Le second qui était russe réussit à expliquer qu’il s’agissait de pirates à bord d’un vieux cargo « Liberty Ship » datant de la seconde guerre mondiale qui dévalisaient les navires marchands. Ils raquêtaient les passagers et l’équipage et utilisaient les grues d’origine du bateau pour voler autant de containers que possible.

Je rétorquai que notre navire était plus rapide et plus gros que le leur et que nous devions ignorer leurs sommations mais le commandant hurla qu’ils étaient équipés de 25 canons qui pouvaient nous couler et qu’ils nous tueraient tous si nous résistions. Je lui demandai :

- Et si nous nous rendons ?

Il me répondit que nous serions dévalisés mais qu’ils nous épargneraient peut être.

Mais moi je n’avais pas l’intention de me laisser piquer mon bazooka, mon ordinateur et mes clefs usb. Je n’avais pas accompli tout je que je vous ai décrit pour me les faire tirer par de vulgaires pirates.



Le commandant livide avait donné l’ordre de stopper les machines et précisant qu’ils nous aborderaient dans quelques minutes. Le vent apportait déjà le bruit des cris de fureur des psychopathes du Liberty Ship.

Tous les marins de mon cargo s’étaient réfugiés dans le château et craignaient pour leur vie. Je jouai les héros en leur déclarant que j’allais les sauver mais ils me regardèrent incrédules.

Il restait peu de temps. Je me précipitai dans ma cabine et regagnai essoufflé le poste de commandement avec le sac qui contenait mon arme. Je remontais mon bazooka. Ils me regardaient les yeux écarquillés mais avec une lueur d’espoir. Le monstre de ferraille de 120 mètres de long n’était plus qu’à quelques centaines de mètres et les tueurs nous menaçaient de leurs fusils et de leurs couteaux.

Je traversais le poste de commandement pour choisir mon angle de tir et réglais mon laser à la moitié de sa puissance. Le silence était tel que j’entendis le cri d’un oiseau de mer qui volait au-dessus du bateau. Je visai calmement et appuyai sur le détente avec le sourire en voyant l’éclair s’abattre sur le bateau des pirates qui se désintégra sous nos yeux. Quelques secondes de stupeur suivirent la déflagration avant une explosion de joie de tout l’équipage .

Le second russe qui ne manquait pas de sens de l’humour me congratula en me disant que je me défendais bien pour un trader dépressif. Le commandant m’embrassa et décréta une fête en mon honneur au dîner du soir.

Les auditeurs de Monchique avaient été si captivés par le récit qu’ils se levèrent de leurs fauteuils et applaudirent le narrateur comme s’ils avaient été les marins sauvés par son intervention. Les plus enthousiastes étaient les walkyries. Gudrun souffla à sa sœur que leurs frères gagneraient le combat final à l’aide d’une telle arme. Elle lui répondit en soupirant qu’elle s’en rendait bien compte.

Mais Stanford qui avait bien l’intention de terminer sa biographie reprit son récit :

- Le soir du dîner tout l’équipage habituellement en jeans et en t shirt nous accueillit en uniforme de gala. Le commandant fit un discours embrouillé et invita tous les membres de l’équipage qui n’étaient pas de quart à profiter de la réserve d’alcool du navire. Il avait déjà pas mal bu au moment de passer à table.

- Il me promit un billet gratuit ma vie durant sur les cargos de la compagnie, de m’offrir sa dernière fille en mariage quand elle serait pubère dans quelques mois et même de me présenter sa femme si je n’avais pas envie d’attendre aussi longtemps. Le russe était resté plus sobre et semblait très intéressé par l’arme que j’avais utilisée et par sa puissance phénoménale. Je coupai court à ses questions en changeant de conversation. Il n’insista pas mais je reste persuadé qu’il a compris l’importance de cette arme et qu’il a prévenu les services secrets de son pays.


- Nous avons poursuivi notre voyage, toujours plongés dans cette torpeur mélancolique si propice à l’introspection. Nous étions devenus des vedettes sur le bateau et tous les marins philippins se prosternaient en nous croisant et en nous appelant « Bathala ». Nous apprîmes par leur chef qu’il s’agissait d’un dieu important de leur Panthéon.


- Ils voulaient tous faire des photos avec nous ce que nous refusions par souci de discrétion mais un jour je surpris le russe me fixant avec un téléobjectif

- Nous étions à deux jours de Valparaiso et me précipitai dans la cabine de Berkeley dont j’ouvris la porte si violemment qu’elle fit tomber un de ses pots. Il entra dans une fureur que je ne lui connaissais pas en hurlant que c’étaient des méthodes de voyou et que je lui causais une perte irréparable. Heureusement, il réussit à récupérer la graine et se calma en m’expliquant qu’il s’agissait d’un végétal qui remontait à la préhistoire. Je lui expliquai mes soupçons et il me confirma qu’il s’en méfiait également. J’étais persuadé que le russe profiterait de l’escale pour se rendre à son consulat et avertir ses services secrets pour qu’ils nous cueillent discrètement à Lisbonne. Je n’avais pas échappé aux griffes de la Cia pour tomber dans les pattes du Kgb.

- Nous décidâmes donc d’abandonner le bateau à Valparaiso sans avertir personne. Le russe s’était précipité dans un taxi aussitôt l’accostage et nous avons quitté le navire en indiquant au commandant que nous voulions profiter des bordels de Valparaiso ce dont il nous congratula chaleureusement.

- Nous avons passé la douane avec nos deux anciens passeports que nous avons ensuite détruits puis nous nous sommes dirigés à pied vers le centre ville.

- Valparaiso est une ville de marins située au bout du monde dont les quelques quartiers coloniaux étaient submergés par des barres de béton. Nous nous étions installés dans un hôtel de passe au cœur du Barrio Puerto. Le quartier résonnait de tango et sentait le sexe. Des hôtesses aguichantes mais plus ou moins attirantes guettaient les marins devant la porte de chaque bar et nous injuriaient quand nous déclinions leur invitation à partager ce qu’elles appelaient une danse de l’amour.

- C’est dans un de ces établissements remplis de fumée et de filles que nous avons rencontré Mikael un anglais qui commandait un vraquier capesize qui acheminait une cargaison de 220 000 tonnes de cuivre et de charbon à destination du port de la Corogne. Nous lui avons expliqué que nous souhaitions rejoindre l’Europe et il nous a proposé de nous prendre comme passagers pour la somme de 7 000 euros par cabine. Le prix était élevé mais nous n’avions pas le choix et nous avons accepté en nous tapant dans les mains. Il levait l’ancre le lendemain dans la soirée.


- J’avais décidé de retirer une somme de 250 000 dollars pour couvrir nos besoins pendant plusieurs mois et éviter de nous faire repérer à chaque opération. Les banques suisses sont parfaites pour ce genre de transaction. Il suffit de donner au téléphone un nom un numéro de banque à créditer, le code secret du compte suisse et l’opération s’effectue en quelques secondes .

Nous nous étions rendus dans l’agence centrale de la banque nationale du Chili pour effectuer l’opération où j’avais demandé à la guichetière de me conduire dans le bureau de son directeur. Elle m’avait répondu qu’il ne recevait pas de clochards et j’avais beaucoup insisté pour qu’elle daigne avertir Monsieur Garcia, car c’est ainsi qu’il s’appelait. Celui avait déboulé dans le hall, accompagné d’un garde du corps, sans doute dans l’intention de me virer . C’était un petit gros avec des moustaches et des cheveux gominés qui dégoulinait de sueur dans son costume bleu trop serré.

Il me hurla dans les oreilles de dégager jusqu’à ce que je prononce la phrase magique :

Je viens retirer un virement de l’Union des Banques Suisses !

Il me demanda alors respectueusement de le suivre dans son bureau mais toujours accompagné du vigile .

Il examina mon passeport sous toutes les coutures et consulta son ordinateur avant de relever la tête d’un air stupéfait :`

Effectivement, je viens d’enregistrer un virement de 250 000 euros pour vous et de 15 000 euros pour les frais bancaires . Voulez-vous que je vous ouvre un compte ?

Je lui répondis que je voulais récupérer la totalité tout de suite et il appela son caissier principal pour qu’il réunisse la somme ce qui prendrait une petite heure .

Il m’offrit des rafraîchissements pendant que je lui servais le conte de l’ancien trader déprimé.

Son adjoint arriva ensuite avec un coffre qui contenait l’argent et qu’il portait comme s’il s’agissait du tabernacle. Il compta les billets devant moi pendant que je les enfournais dans mon sac de sport. Il me proposa l’accompagnement d’un vigile jusqu’à mon domicile, ce que je déclinai. Je pris congés poliment de monsieur Garcia qui me raccompagna jusqu’à la porte de l’établissement. Cependant je ne pus m’empêcher de revenir en arrière vers la caissière qui m’avait éconduit pour baisser mon pantalon et lui montrer mes fesses.


Notre nouveau bateau était différent du précédent mais tout aussi monstrueux. Nos cabines ressemblaient aux autres mais cette partie du voyage fut plus pénible car nous étions consignés dans nos chambres en raison des dangers de la navigation dans les mers australes. Le commandant et ses seconds étaient tous britanniques et nous traitaient avec une politesse condescendante. Les marins étaient coréens et ne nous ont jamais adressé la parole. Nous prenions nos repas dans le carré des officiers aux horaires immuables de la marine marchande, ils nous saluaient poliment mais ils nous tenaient à l’écart de leurs conversations.

Je partageai mon temps avec Berkeley qui me parlait de ses graines et de ses plantes pendant que le je l’initiais aux mystères de la fusion nucléaire.


Il s’interrompit et réfléchit quelques instants surpris par une réflexion qui lui venait à l’esprit :

- Je m’aperçois que nous nous côtoyons avec Berkley depuis des années mais que nous ne nous sommes jamais dévoilés notre passé ou notre vie privée même pendant ces quelques mois de voyage en commun .

Luana souligna que c’était tout l’intérêt de l’exercice auquel il se livrait.

Il acquiesça et poursuivit :

J’ai trouvé la voie de ma rédemption pendant le passage chahuté du Cap Horn au cours d’une nuit sans sommeil. L ‘idée me vint avec une telle évidence que je me reprochais d’avoir tant tardé à la trouver . J’avais employé une partie de ma vie à flirter avec les armes de l’apocalypse et je consacrerai le reste de mes jours à aider mes frères et mes sœurs d’humanité à s’en protéger .

Les bombes disparaitraient si j’en trouvais la parade et cette perspective devint mon seul but.

Mais il rectifia aussitôt :

- Je n’aurais pas dû dire mon seul but car la solitude du voyage avait ressuscité un rêve, un rêve d’amour que j’ai eu la chance de concrétiser.

Brunnehilde fondit comme une glace à la fraise en plein soleil en entendant sa déclaration et se tourna vers sa sœur les bras ballants en lui disant :

- Comment tuer un tel homme ?

Stanford s’aperçut que le temps filait et décida de conclure plus rapidement :

Le reste du voyage s’est déroulé sans détail notable. Ils nous ont débarqué à l’aube à la Corogne comme s’ils livraient de la marchandise et nous avons quitté le navire sans les saluer. Nous nous sommes précipités à la gare pour rejoindre Lisbonne que nous avons atteint dans la soirée après avoir emprunté deux lignes de train et trois bus différents.

Nous nous sommes ensuite installés deux jours dans un hôtel du barrio alto juste le temps de nous acheter deux macbooks payés en liquide en donnant des noms d’emprunt et une adresse à Bruxelles.

- Puis nous avons cherché notre plage que nous avons trouvée après en avoir testé une dizaine d’autres. Elle nous a séduits à cause de ses grottes que nous présentions comme un lieu de contemplation idéal dans le ventre de la terre et en communion avec la nature. Nous avons ensuite repéré cette planque de contrebandier grâce à une application scanner, découvert le système d’ouverture et vous connaissez la suite.


Il avait terminé mais Guadalupe avait une question à lui poser :

- Mais comment ont-ils réussi à te retrouver ?

- Quand la Cia vous cherche, elle vous retrouve toujours. Je suppose qu’ils ont découvert la supercherie de ma disparition par des test ADN du cadavre masculin ce qui a déclenché une chasse à l’homme planétaire. Ils ont vérifié tous les billets d’avion, et les départs en bateau dans les jours qui ont suivi mon évasion en montrant ma photo aux équipages des navires qui avaient quitté le port. J’ai sans doute été reconnu surtout avec la narration de la disparition du navire pirate. Ils ont perdu ma trace à Valparaiso mais ils savaient que j’envisageais de m’installer sur une plage portugaise et ils ont soudoyé tous les professeurs de surf des spots du pays pour obtenir des renseignements.

Quant aux Russes, je suis certain qu’ils ont été avertis par le second du porte containeurs qui connaissait ma destination et ils ont certainement procédé de la même manière que les américains. D’ailleurs les deux groupes avaient pris contact avec le prof de surf de notre plage.


Luana inquiète demanda s’ils ne pouvaient pas le retrouver à nouveau .

- Non répondit Stanford ils me croient à Moscou aux mains du KGB.

- Mais comment ? lui demanda Maurice

- Et bien je pense qu’ils ont fait pression sur ma banque suisse pour suivre mes prélèvements d’argent sur mon compte et donc mes déplacements

- Et alors ? reprit Maurice

- Et bien j’ai fait virer 50 000 euros à la banque centrale de Moscou au profit d’un certain Marcel Dujardin et ils m’imaginent donc en Russie sous ce nom d’emprunt

Le coup était imparable, c’était échec et mat à la Cia et tous se levèrent admiratifs pour applaudir cette idée géniale.


Luana avait fait servir du thé et des gâteaux pour le goûter avant de passer la parole à Berkeley.

Celui-ci s'était levé pour son exposé. Il était très différent de Stanford, plus grand et plus athlétique avec un visage taillé à la serpe, des cheveux noirs ondulés et des yeux marrons en amande . Autant son pote avait un physique d’ange, autant lui avait une gueule de baroudeur et aurait pu jouer dans un western d’Ennio Morricone.

Gudrun qui était folle de lui le dévorait du regard.

Pourtant il était aussi introverti et timide que l’autre était exubérant et fanfaron. il avait commencé son discours en s’excusant par avance de sa difficulté à s’exprimer publiquement ,puis avait respiré profondément et s’était lancé :

- Je suis né il y a trente huit ans dans une ferme du Kansas à 80 kilomètres de Winnipeg. Mon père était un gros con alcoolique et violent qui exploitait 300 hectares de céréales. Je n’ai jamais compris pourquoi ma mère qui avait fait des études de lettres l’avait épousé.

Elle ne m’en a jamais parlé et je n’ai pas osé lui poser la question mais je crois que c’est parce qu’elle était enceinte de moi.

Les rendements de son exploitation et le remboursement de ses dettes constituaient son seul centre d’intérêt. Son gourou était le technicien de Monsanto qui lui vendait des tonnes d’insecticides pour améliorer sa récolte et qui lui consentait des prêts pour acheter des machines agricoles toujours plus perfectionnées. Plus il leur devait de l’argent et plus il leur achetait de produits .

Mais les sols s’épuisaient, les rendements baissaient et il avait de plus en plus de mal à rembourser ses emprunts .

Alors certains soirs il prenait ma mère pour un punching ball. Le scénario était toujours le même et nous sentions monter l’orage au fur et à mesure que la bouteille de Jack’s Daniel se vidait . Elle me faisait un signe de la tête pour m’envoyer me coucher et je me cachais la tête dans les oreillers de mon lit pour ne pas entendre le bruit des coups et les cris de ma mère. Le lendemain matin, je voyais son visage tuméfié mais elle ne s’est jamais plainte.

Ces scènes de violence devenaient de plus en plus fréquentes et un jour j’ai vu ma mère pleurer quand il a cassé son piano à coups de batte de base-ball.

J’avais douze ans et j’ai décidé de le tuer.


L’assemblée était tétanisée en l’entendant mais il poursuivit sa narration sans manifester la moindre émotion .

- Il inaugurait le lendemain sa nouvelle moissonneuse batteuse encore financée par Monsanto. Il avait exigé que je l’accompagne et que je m’installe sur le siège passager pour, disait-il, « apprendre le métier ».

C’était un monstre effrayant de 500 chevaux qu’il pilotait en se prenant pour le roi du monde. Au bout du champ un voyant s’est allumé ce qui l’a inquiété.

Il s’est arrêté, a appuyé sur un bouton rouge pour mettre l’engin en sécurité sans être obligé de tout réinitialiser et il est sorti de la cabine pour vérifier l’origine de cette alerte . C’est quand il s’est mis à plat ventre pour contrôler l’organe de coupe que j’ai désactivé le bouton pause et qu’il a été déchiqueté.


Un murmure d’effroi parcourut ses auditeurs mais il devança les questions :

- Je n’ai jamais éprouvé de regrets car c’est un peu comme si je m’étais débarrassé d’un animal nuisible.

J’ai couru à la ferme pour dire qu’il avait eu un accident. L’assurance a tout pris en charge ce qui a permis de rembourser les crédits. Maman a vendu la ferme et nous avons quitté cette région maudite pour nous installer à San Francisco.

Elle a trouvé un poste d’enseignante dans une public school et je me suis passionné pour la botanique et les plantes anciennes et en voie de disparition sans doute pour réparer inconsciemment les destructions occasionnées par les tonnes de pesticides déversés par mon père. Il faut comprendre que les plantes constituent la base de l’écosystème et que la disparition d’une seule d’entre elles a un effet en cascade sur la biodiversité et commence en général par celles des insectes qui s’en nourrissaient ou les pollinisaient pour s’étendre à tous les maillons de la chaîne. Sans plantes il n’y a plus de vie .Or, la tendance est inquiétante car depuis 1 900 des espèces de plantes disparaissent définitivement chaque année à une cadence 500 fois plus rapide que le rythme naturel d’extinction d’une espèce.

- Animé par cette passion j’ai réussi brillamment mes études et j’ai été admis à l’ université de Berkeley où j’ai passé un doctorat de biologie végétale pour rejoindre ensuite le département de botanique.

Je m’occupe de l’analyse des plantes qui survivent sur notre planète depuis des millénaires pour tenter de trouver ces mystérieux gènes communs qui les ont préservées. Je les conserve sous forme de graines, je les plante aussi dans des pots pour qu’elles se reproduisent et reconstituent la lignée et mon rêve est de les cultiver à plus grande échelle.

Il prit le temps de s’arrêter pour boire un verre d’eau et peut être aussi pour se demander s’il avait la force de poursuivre son récit et d’aborder le sujet de la disparition de sa mère .La bienveillance de son auditoire lui insuffla le courage nécessaire :

- J’avais 25 ans quand maman est morte. Elle s’est suicidée en me laissant une lettre dans laquelle elle expliquait qu’elle ne supportait plus les traumatismes psychiques imputables à la violence de mon père, qu’elle n’avait survécu que pour m’accompagner mais qu’il était temps pour elle de se libérer.

Il commençait à avoir les larmes aux yeux et des hoquets dans la voie. il réussit à arracher :

- C’était peut être trop long pour elle mais trop court pour moi !


Et il s’effondra en sanglots. Gudrun se précipita pour le prendre dans ses bras suivie par toute la communauté qui se sera autour de lui pour le consoler.



Il s’excusa de son émotivité en expliquant qu’il n’avait jamais dévoilé ces évènements douloureux de sa vie privée mais ajouta que ces confidences l’avaient soulagé.

Réconforté il déclara qu’il voulait poursuivre. Chacun regagna son siège et Berkeley se redressa pour poursuivre son récit :

- Mes recherches étaient devenues le seul but de ma vie après la départ de ma mère . Je me suis installé dans un studio sur le campus pour être au plus près de mon labo. Le surf était mon unique distraction et c’est sur mon spot habituel que j’ai fait la connaissance de Stanford qui est devenu mon ami.


Il afficha un grand sourire et se tourna vers Gudrun :

- Je n’ai jamais eu de relation féminine avant que Gudrun ne décide de me violer il y a quelques semaines .

Celle ci bondit de sa chaise pour l’embrasser fougueusement avant de se rasseoir quelque peu confuse de son attitude

Il poursuivit :

- Alors dans ce contexte, je n’ai pas hésité un seul instant quand Stanford m’a proposé de larguer les amarres et je m’en félicite puisque j’ai rencontré une raison de vivre qui s’appelle Gudrun.

Elle lui envoya des baisers et il conclut :

- La suite vous la connaissez puisque Stanford vous l’a décrite et il regagna sa chaise.


C’était désormais le tour des géantes et l’ambiance se tendit car chacun présentait que leurs déclarations seraient déterminantes pour l’avenir de la communauté.

Brunhilde s'était levée, immense, magnifique et impressionnante. Son regard était glacial, ses traits tirés, trahissant l’intensité du moment.

Elle prit la parole d’une voix froide, presque militaire, en précisant qu’elle s’exprimait également pour le compte de sa soeur Gudrun :

- Nous sommes des walkyries, des déesses germaniques qui parcourent les champs de bataille dans un char tiré par des loups pour sélectionner les âmes des guerriers valeureux et les emmener au walhalla où ils grossiront l’armée des braves qui défendront Odin et nos dieux le jour du combat final contre les forces du mal que nous appelons le Ragnarok.

Stanford incorrigible l’interrompit :

- Mais çà ressemble à notre apocalypse !

- Oui, répondit-elle, nous l’appelons le crépuscule des dieux et un nouveau monde renaîtra après leur disparition. Mais nos dieux ne veulent pas mourir...

Elle décrivit longuement le walhalla, son panthéon et son fonctionnement sans omettre ni dissimuler aucun détail comme les entraînements quotidiens ou le baisabrock . Elle parla de son admiration pour Freya et de la quête de cette déesse pour retrouver son mari disparu ainsi que de Frigg qui observait le monde .

Son public était fasciné par la découverte de cette univers inconnu, de ces guerriers qui se tuaient tous les jours pour renaître le soir avant les festin et surtout de ce sanglier géant qui nourrissait son peuple .


A ce stade de son récit Maurice éclata de rire :

- Je comprends maintenant pourquoi vous voulez du jambon ou du sanglier à tous les repas !

Tout le monde s’esclaffa.

Mais l’heure tournait et la narratrice se perdait dans des détails, comme la fabrication des préservatifs en boyau de sanglier ou la recette de l’hydromel, un peu comme si elle cherchait à éviter l’essentiel.

C’est Luana qui l’arrêta en lui posant la question que personne n’osait aborder :

- Mais tu ne nous a toujours pas dit quelle était la raison de ta présence !

Brunnehilde se tourna vers sa sœur qui fit un geste de la tête signifiant qu’il était temps de dire la vérité :

- Nous sommes venues tuer Stanford pour emporter son âme au walhalla !

Celui-ci défaillit dans son fauteuil et tous se précipitèrent instinctivement devant lui pour le protéger. Berkeley indigné s’écria à l’attention de Gudrun :

- Il faudra me tuer également !

Elle lui dit d’un air narquois :

- Mais j’en ai bien l’intention, comment peux-tu imaginer que je t’abandonne ici ?

Berkeley, Estella et Guadalupe s’étaient armés de chaises alors que Luana et Maurice avaient placé leur fauteuil en première ligne pour empêcher les deux fauves d’approcher.

Brunnehilde surprise tenta de calmer le jeux en leur demandant de les écouter :

- Nos dieux ne veulent pas disparaître et ont compris que leur seul salut était de disposer de nouvelles armes de destruction. Nous avions repéré Stanford et son bazooka et nos maîtres nous ont confié la mission sacrée de kidnapper son âme pour qu’il nous construise ces armes qui sauveraient notre monde.

Brunnehilde prit une profonde inspiration :

- Alors je te pose la question, veux tu m’accompagner au walhalla ?

- Jamais de le vie s’exclama Stanford qui avait repris ses esprits, comment peux-tu imaginer que j’accepte de vivre avec des psychopathes qui passent leur temps à se battre, à s’enivrer et à faire des partouzes avec des préservatifs à la graisse de sanglier.

Il était écarlate d’indignation en ajoutant :

- De toute façon je n’abandonnerai jamais mes amis et mes nouveaux projets !

Elle lui répondit :

- Mais je peux te tuer et emporter ton âme sans ton accord.

- Oui, mais je ne t’aimerai plus

Et il se dirigea vers elle et d’un geste théâtral entrouvrit sa chemise, lui présenta sa poitrine et clama en fermant les yeux :

- Vas y, frappe !

Il s’attendait à la brûlure de l’épée mais ne ressentit que le goût d’un baiser amoureux.

Étonné il ouvrit les yeux

- Tu ne me tues plus ?

Brunnehilde sourit pour dire :

- Non !

Stanford poursuivit :

- Mais tu trahis ton peuple, tes dieux et ton histoire, pourquoi ?

Brunnehilde posa tendrement son bras sur son épaule. Elle était métamorphosée, soulagée d’avoir choisi. Elle avait abandonné sa posture de guerrière, ses yeux bleus glacier avaient pris les couleurs de la mer et elle semblait douce comme une vierge de Raphaël.

Elle lui répondit :

- Parce que je t’aime et que toi comme Berkeley nous avez permis d’abandonner notre rôle de machines de guerre pour nous permettre de toucher du doigt ce rêve d’amour que nous vivons chaque jour depuis que nous vous avons rencontrés.

Les choses étaient dites, tout le monde se leva et applaudit.


Le mot de la fin appartint à Luana :

- Nous sommes désormais une famille parce que nous avons tous eu le courage de nous dénuder et d’accepter nos différences. J’imagine désormais en regardant chacun d’entre vous le parcours douloureux et destructeur auquel il a été confronté : Stanford abandonné à la naissance, Berkeley tuant son père pour sauver sa mère, Estela battue et humiliée par son mari, Guadalupe étouffée par sa famille, nos deux walkyries utilisées comme des machines tueuses et prisonnières d’un monde paranoïaque, Maurice et sa vie volée par une épouse acariâtre et moi même affligée par la mort de mon fils et enfermée dans un hôpital psychiatrique. Nous aurions pu chacun sombrer mais nous avons été sauvés par le rêve auquel nous nous sommes accrochés pour trouver la force de survivre et aujourd’hui nous sommes réunis par la magie de notre rencontre et constituons désormais une communauté indissoluble au sein de laquelle chacun vivra sa renaissance.

Et elle proclama joyeusement :

- Champagne ce soir pour fêter la naissance de notre famille !

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