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Le rêve d'un rêve. Chapitre 7 : De Cahors à Bayonne

  • StanislasMleski
  • 6 déc. 2022
  • 10 min de lecture

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Maurice avait installé la table sous l’auvent de la caravane et préparé leur petit déjeuner préféré : du café et des croissants fourrés avec du filet de porc dont elles consommaient une quantité incroyable .

Les sportifs de la veille s’étaient engagés sur leur parcours habituel mais avaient détalé dans le sens inverse en reconnaissant les deux géantes. Leur nourriture engloutie elles étaient parties se baigner dans la rivière et étaient revenues toutes égaillées par les réactions des autres touristes quand ils les avaient vues se baigner nues .


Mais Maurice les attendait la mine renfrognée :


- Vous me prenez peut être pour votre femme de ménage.

Les deux filles ne comprenaient pas ce qu’il voulait dire et il ouvrit la porte pour montrer le bordel qui régnait dans l’habitacle. Elles n’avaient pas rangé leurs lits, nettoyé leur tasses ni même vidé la poubelle ;

Brunnehilde répondit la première :


- Mais nous ne savions pas ce que nous devions faire. Chez nous au walhalla nous dormons sur des planches de bois et nous jetons les couverts.

- Et bien chez moi c’est différent, nous ne partirons pas tant que tout ne sera comme neuf

C’était la première fois qu’on leur parlait de cette manière en restant vivant mais finalement elles adoraient son attitude paternaliste et elles le prenaient pour le père qu’elles n’avaient jamais eu et lui pour les filles dont il avait rêvé .


Ils avaient décidé de faire l’école buissonnière et un détour par l’Espagne pour y acheter du carburant moins cher.

L’ambiance était détendue et propice aux confidences.

Maurice se lança :

- C’est peut être le moment de m’expliquer avec plus de précisions la raison de votre présence ?

Brunnehilde répliqua :

- Non d’abord toi I

Il s'exécuta de bonne grâce :

- Mois je poursuis un rêve qui s’appelle Luana

- Qu’est ce que c’est un rêve ?

- C’est une sensation douce qui te décolle de la réalité en te donnant une raison de vivre

- Nous ne connaissons pas cette sensation au walhalla. On y arrive comment à ton rêve ? l’interrompit Gudrun.

- En le désirant.

- Comme quand tu veux un cuissot de sanglier ? interrogea Brunnehilde.


Maurice éclata de rire :

- Non, l’amour est le seul moteur de l’envie. Moi je rêve d’elle depuis le jour où je l’ai rencontrée à l’école. La vie nous a séparés depuis plus de cinquante ans mais toutes les nuits nos rêves se rencontrent.

- Et si tu ne la retrouves jamais ? questionna une des walkyries

- J’aurais eu le bonheur de vivre avec cette idée.


Les deux filles fascinées par cette conversation déclarèrent qu’elles aussi voulaient avoir un rêve et être amoureuses ?

Gudrun inquiète demanda :

- Mais il n’est pas trop tard pour nous ?

- Il n’est jamais trop tard répondit Maurice

- Mais comment faire pour rencontrer l’amour demanda Brunnehilde

- Ca vient brutalement un jour et quelque fois jamais

- Et comment saurais je que je suis amoureuse ?

- Si ce jour arrive personne n’aura besoin de t’expliquer


Brunnehilde resta pensive avant de poser une question :

- J’ai connu une aventure avec un type qui s’appelait Siegfried mais je l’ai tué parce qu’il m’avait trompée. L’ai-je aimé ?

- Non, parce que tu t’es aimée plus que lui en satisfaisant ton orgueil répliqua Maurice et d’ailleurs il ne te manque pas .

- Non, répliqua fermement la walkyrie .

- Alors tu n’as pas connu l’amour conclu t ’il péremptoirement.

- Et penses-tu que moi qui aime beaucoup le sexe puisse aussi rencontrer le rêve dont tu nous parles s’inquiéta Gudrun ?

- Oui répliqua Maurice tout en précisant

- Il faudra peut-être que tu te calmes un peu, et ils rigolèrent tous les trois.


Le parcours se poursuivit pendant quelques kilomètres jusqu’au moment où Maurice leur posa la question qui lui brûlait les lèvres :

- Et vous ?

- Nous venons d’un autre monde et nous sommes des walkyries ?

- Des walkyries ?

- Oui, des demies déesses, ce qui signifie que nous possédons des pouvoirs surnaturels bien que nous soyons mortelles. Notre rôle est d’ intervenir dans les batailles et de transporter les âmes des plus vaillants guerriers au walhalla pour rejoindre l’armée des héros qui combattront aux côtés de nos dieux le jour du combat final, le ragnarok.

- Et c’est quoi ton ragnarok ?

- C’est le combat apocalyptique entre nos dieux et les forces du mal menées par les géants de glace, aidés du loup Fenvir et de Jormungand le serpent monstrueux venu de la mer, qui provoquera des raz de marée .

- Les dieux combattront jusqu’à ce qu’un incendie gigantesque ne détruise le monde.

Gudrun ajouta :

- Nous savons que nous perdrons ce combat !


Maurice résuma cruellement la situation :

- Si je comprends bien vous avez mis en place depuis plusieurs siècles un système complexe pour organiser une armée qui sera vaincue le jour du combat final .

Les deux walkyries restèrent perplexes après cette analyse implacable. Quel était alors le sens de leur existence si ce n’est d’exister dans un système absurde ,de

manger du sanglier, de participer à une partouze géante toutes les semaines et de combattre avec héroïsme un adversaire qui les tuera .


Brunnehilde s’évada de cet inextricable raisonnement en dévoilant la but de leur mission :

- Notre mission doit rester secrète. Comme nous te l’avons déjà dit, nous recherchons un certain Stanford pour le ramener au walhalla car il possède une arme qui nous permettra de vaincre nos ennemis.

- Et s’il ne coopère pas demanda Maurice ?

Les deux walkyries se regardèrent sans comprendre cette question incongrue :

- Mais personne n’a jamais refusé répondirent ‘elles spontanément

- Parce que vous avez recruté des tueurs ivres de fureur dont la violence est la seule culture et le combat l’unique finalité. Nous les humains ne sommes pas des robots exterminateurs. Nous avons des convictions, des enfants, des familles, des rêves d’amour bref, ce que nous appelons le libre arbitre.

Il interrompit son discours en voyant une pancarte indiquant l’Espagne et il abandonna ses questions embarrassantes pour déclarer qu’ils faisaient un détour par l’Espagne pour acheter du carburant moins cher.

Maurice s’était un peu perdu après avoir quitté la station-service mais il refusait de l’avouer et feignait de maîtriser la situation. Ils serpentaient sur un route de campagne qui grimpait vers un col qui devait leur permettre de rejoindre la frontière. Brunnehilde qui était malade en voiture lui demanda de se garer rapidement et Maurice s’arrêta sur le parking du belvédère en haut du col .

Ils étaient les seuls touristes. Maurice consultait sa boussole et les deux filles se dégourdissaient les jambes quand une clameur monta de la vallée. Des soldats s’affrontaient. Un groupe semblait pris en embuscade par des ennemis alors qu’il progressait dans la vallée et se trouvait en mauvaise posture.

Les deux walkyries décidèrent d’aider ces guerriers victimes d’un lâche guet-apens. Elles avaient aussi sans doute envie de retrouver l’excitation du combat



Elles se métamorphosèrent instantanément en combattantes ; leurs traits se durcirent, leur regard devint glacial et tous leurs muscles se tendirent.

Elles s’étaient précipitées dans le coffre pour récupérer leurs armes et analysaient la situation .

Les Francs lourdement armés étaient pris en tenaille par les Vascons dans un défilé trop étroit pour qu’ils puissent manœuvrer. Les archers ennemis étaient installés sur les hauteurs pendant que d’autres soldats faisaient dévaler des blocs de pierre pour les écraser et bloquer la sortie du défilé pendant que des fantassins ennemis les prenaient à revers. Le chef des Francs combattait héroïquement mais ils étaient submergés.


Son courage suscita la sympathie des walkyries et Brunnehilde prit la direction des opérations :

- Toi tu abats les archers et ceux qui jettent les pierres et moi je libère l’arrière de la troupe


Roland, âgé de 42 ans, était préfet de la marche de Bretagne et l’un parmi les centaines de neveux de Charlemagne. Il était inconnu à la cour dont il était écarté du fait de ses fonctions locales.

Charles avait réquisitionné son armée pour porter main forte à un prince musulman qui finalement s’était réconcilié avec son ennemi. Rendu furieux par cette déconvenue, il avait rasé les murailles de Saragosse qui appartenait aux Vascons dont il détestait la farouche indépendance .

Cette embuscade était la réponse des Vascons et peut être pour Roland la chance de sortir de son anonymat. Le roi des Francs lui avait confié la direction de l’arrière garde de l’armée ce qui était un commandement peu gratifiant parce qu’il ne s’y passait jamais rien. Le sort de la bataille était toujours joué par les combats menés par l’avant garde et le corps de l’armée . Ceux qui étaient à l’arrière n’étaient mobilisés que quand tout se passait mal, un peu comme des footballeurs remplaçants condamnés à ronger leur frein sur le banc.


Mais aujourd’hui était son jour de gloire, les Vascons les encerclaient. Il savait qu’il serait défait mais que sa bravoure serait telle que son nom serait chanté dans tout le monde carolingien.

Les ennemis progressaient vers lui ,les cadavres de ses guerriers s’accumulaient, ses soldats s’effondraient sous les volées de flèches ou étaient écrasés par les pierres qui leur interdisaient toute possibilité de fuite.

Gudrun s’était dissimulée presque en face de la colline occupée par les archers ennemis et les abattait, ainsi que ceux qui poussaient les rochers, avec une précision diabolique

Brunnehilde avait pris les Vascons à revers et s’était frayé un passage dans les rangs ennemis terrorisés par cette géante couverte de sang qui tranchait les têtes avec frénésie et qui semblait irrésistible. Roland fut si impressionné en la voyant arriver qu’il relâcha sa garde et qu’il aurait été poignardé par un ennemi si Brunnehilde ne s’était pas interposée en lui tranchant la main.



Elle se plaça devant le comte et l’attira quelques secondes à l’écart :

- Ma sœur et moi sommes des walkyries et avons décidé de t’aider à te sortir de cette embuscade déloyale. Gudrun a éliminé les archers ennemis et nous pouvons nous échapper en reprenant la colline d’assaut.

Roland crut défaillir. Son rêve de gloire s’évanouissait. Elle avait raison et leur intervention pouvait inverser le sort de la bataille mais l’histoire ne retiendrait de lui qu’une victoire d’escarmouche avec des sauvages alors que le sacrifice d’une mort glorieuse à la tête de milliers de combattants massacrés par des ennemis perfides lui ouvrirait les portes de l’histoire.

Mais que dire à cette géante d’un autre monde qui lui offrait la vie.

Il trouva la seule réponse qu’une walkyrie était susceptible de comprendre :

- Je te remercie mais aujourd’hui je veux mourir en héros.

Les deux armées sidérées avaient cessé de combattre. Brunnehilde émue par sa réponse lui donna l’accolade en proclamant à l’attention de tous les guerriers présent :

- Désormais tu seras connu comme Roland le héros de Roncevaux !

Et elle quitta le champ de bataille en traversant des deux armées rivales dont les soldats écartèrent les rangs avec respect pour la laisser passer.


Les hostilités reprirent dès son départ. Elle entendit le son du cor en regagnant le parking et se précipita devant Gudrun qui mettait en joue un Vascon qui levait son épée pour achever Roland :

- Laisse le destin s’accomplir, il préfère mourir en héros plutôt que de vivre dans l’anonymat

- On pourrait emporter son âme au walhalla, suggéra Gudrun

- Non, il est trop compliqué pour nous, conclut sa sœur.


Maurice avait déplié la carte routière et avait retrouvé son chemin grâce à sa boussole. Il soulignait son itinéraire quand il aperçut Brunnehilde couverte de sang.

Elle prit les devants :

- Ne t’inquiète pas, ce n’est que le sang de nos ennemis

Maurice évita de poser des questions dont il ne comprendrait pas les réponses mais fit observer :

- En tout cas il faudra acheter d’autres vêtements puis nous visiterons une fabrique de jambon de Bayonne

- Les deux walkyries qui venaient de tuer sauvagement de nombreux guerriers poussèrent des cris de joie de gamines avant d’ajouter malicieusement qu’il serait nécessaire de passer devant un distributeur de billets.


Maurice s’était engagé dans une zone commerciale à l’entrée de la ville et s’était garé devant une grande enseigne de vêtements. Brunnehilde dont les vêtements étaient ensanglantés était restée dans la caravane et il avait accompagné Gudrun dans la zone pour l'aider à repérer une banque. Désormais ils emportaient un sac de sport pour éviter que des billets ne débordent de leurs poches.




Ils avaient trouvé un distributeur discrètement situé derrière le grande surface que la walkyrie avait vidé avec une facilité déconcertante. Elle se concentrait quelques secondes puis tendait ses mains qui aspiraient tous les billets contenus dans l’appareil. La récolte avait été si fructueuse que le sac de sport était à moitié rempli et que Maurice en était presque gêné.


Gudrun s’était ensuite rendue au magasin. La présence d’une femme de deux mètres habillée d’un survêtement du club de basket de Moulins n’était pas restée inaperçue par la responsable qui s’était précipitée sur elle :

- Puis je vous aider dans votre choix ?

- Oui, je viens de très loin et je voudrai être habillée comme toutes les jeunes femmes d’ici répondit Gudrun

- Cà ne va pas être facile avec votre taille, mais je vais vous trouver un blue jean, des t shirts et des pulls dans le rayon masculin

- C’est très bien, choisissez les et je veux tout en deux exemplaires.

La vendeuse lui fila les vêtements les plus coûteux et l’affaire fut réglée en quelques minutes car sa cliente n’avait qu’une préoccupation : Le musée du jambon.


Ils avaient eu du mal à le trouver car il était domicilié rue de la Poissonnerie !

Le patron était un passionné en même temps qu’un excellent commerçant et s’occupait lui-même de la visite guidée. Il commençait toujours par un exposé pseudo historique qui lui conférait une dimension d’expert. Il montait sur une chaise dans le hall d’entrée tapissé de jambon et de saucissons et se lançait dans un discours emphatique. Les deux walkyries écoutaient sagement assises comme des écolières et les yeux aussi émerveillés que si elles visitaient la chapelle Sixtine.

Il expliquait qu’un certain Gaston Phoebus avait découvert les vertus de la salaison en abandonnant un sanglier mort dans une source d’eau salée. Depuis, la tradition s’était instaurée dans la région. Les jambons étaient séchés et affinés pendant plusieurs mois au grand air bénéficiant du climat local ce qui leur conférait leur goût et leur onctuosité inimitable .

Puis il poursuivait la visite dans ses immenses caves avant la séance de dégustation et la vente.

Les deux copines n’avaient jamais rien mangé d’aussi bon et en plus découvraient le saucisson et les autres charcuteries. Elles en achetèrent en quantité mais lui posèrent de nombreuses questions avant de partir et auxquelles il répondit de bonne grâce compte tenu du montant de l’addition :

- Fabriquez-vous toutes ces marchandises vous même ?

- Évidemment j’ai des collaborateurs mais je sais tout faire

- Pourriez-vous faire de telles charcuteries avec des sangliers ?

Il répondit avec arrogance ce qu’il aurait jamais dû dire :

- Bien sûr ce sont les mêmes bêtes !

Et les deux walkyries se regardèrent d’un air entendu et rejoignirent Maurice.


Le soir après le repas, elles indiquèrent qu’elles allaient se promener le long de la plage du camping.


Le lendemain, le journal du Sud Ouest annonça la mort surprise du charcutier le plus connu de la ville mais personne bien entendu ne sut qu’il venait d’entrer au walhalla.


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