Le rêve d'un rêve. Chapitre 8 : De Bayonne à Burgos
- StanislasMleski
- 2 févr. 2023
- 10 min de lecture

Maurice se sentait fatigué et avait avalé un double expresso au petit déjeuner pour se réveiller. Son cœur s’était mis à battre comme un fou, le monde à tourner autour de lui et il avait chuté de sa banquette. Gudrun présente dans la caravane avait ressenti le danger s’était précipitée pour le relever et lui jeter une verre d’eau dans le visage en lui tapotant les joues et en retenant son âme.
Il avait repris ses esprits.
Elle en avait averti Brunnehilde. Toutes les deux étaient très inquiètes pour cet homme qu’elles ne connaissaient que depuis quelques jours mais pour lequel elles ressentaient un sentiment d’attachement dont elles ignoraient l’existence jusqu’à présent .
Il leur avait révélé ses problèmes cardiaques, son refus de l’intervention chirurgicale et son espérance de vie limitée .
Gudrun avait pris le visage de Maurice entre ses mains et le regardait gravement :
- J’ai réussi toute à l’heure à bloquer ton âme qui cherchait à s’envoler, mais nous ne serons pas toujours là. Il faut que nous trouvions un médecin avant de partir à Burgos.
Le mercredi matin était la matinée préférée du docteur Cabanas parce qu’elle était consacrée à rédiger ses rapports d’expertise cardiologique. Mais le principal attrait de ce travail résidait dans la présence de Gabriela, sa seconde assistante qui s’occupait du département expertise de son activité. Il l’avait embauchée à plein temps sans en avoir vraiment besoin parce qu’il était fasciné par sa beauté et dépendant de la sensualité qu’elle avait introduite dans leur relation professionnelle. Ils avaient quarante ans de différence d’âge et n’avaient jamais entretenu le moindre rapport physique mais la jeune femme avait instauré une connivence qui avait pris les contours d’une relation phantasmatique. Elle s’approchait de lui pour qu’il sente son parfum, se penchait lentement afin qu’il admire ses seins et décroisait ses jambes quand il les regardait. Chacun y gagnait : elle un boulot facile et bien payé et lui des éclairs de désir que l’âge avait émoussé.
L’accueil des patients était assuré par une vieille moche peinturlurée qui avait comme seule fonction de les terroriser et de leur soustraire les honoraires exorbitants de son patron.
Elle faisait la comptabilité de la semaine quand la porte du cabinet s’ouvrit sur deux géantes et un vieux.
La brune lui dit qu’ils voulaient un rendez-vous urgent pour leur père malade mais elle répondit avec agressivité que le cardiologue n’était pas disponible.
La grande blonde se pencha sur elle :
- J’entends la voix de votre patron au travers de la porte. Allez lui demander un rendez-vous en insistant sur l’urgence.
Brunnehilde était si impressionnante qu’elle s’exécuta pour revenir dépitée quelques secondes plus tard :
- Il a dit qu’il est occupé et que vous pouvez toujours aller au service de cardiologie de l’hôpital de Bayonne
Le docteur Cabanas qui avait été très contrarié par cette interruption s’en était remis et regardait avec fascination le ballet des jambes de Gabriela quand la porte d’entrée de son bureau explosa dans un bruit fracassant et qu’une géante pénétra dans la pièce.
Il bondit de son siège pendant que Gabriela refermait ses jambes :
- C’est inconcevable et je me refuse à accepter un patient dans ces conditions.
Il avait une petite voix de fausset désagréable et ordonna à sa secrétaire d’appeler la police mais la jeune fille terrorisée ne bougea pas.
Une seconde géante pénétra dans la pièce en déclarant :
- On démolit tout ton cabinet et toi après si tu ne soignes pas notre père !
Et elle donna un coup de poing qui brisa son bureau.
Gabriela s’éclipsa et le cardiologue consentit à écouter Maurice en restant debout devant son bureau explosé. Il lui demanda sa carte vitale pour examiner son dossier informatisé sur l’ordinateur du secrétariat et revint les traits tendus :
- Vous souffrez d’une pathologie cardiaque très grave pour laquelle vous avez refusé d’être opéré. Vous pouvez mourir du jour au lendemain et votre malaise de ce matin m’inquiète.
- Il ne peut pas mourir ! l’interrompit Gudrun
- Et pourquoi ? l’interrogea la cardiologue qui avait repris de sa superbe.
- Parce qu’il a encore un rêve à réaliser déclara la géante.
C’en était trop pour le médecin dont les neurones tournaient dans tous les sens en se télescopant. Il avait besoin d’un temps de récupération :
- Retournez dans la salle d’attente pour me permettre d’étudier le dossier calmement.
Le groupe obtempéra et le médecin se précipita sur une armoire d’où il extirpa un flacon de whisky dont il avala une goulée en espérant retrouver ses esprits. Non, il ne rêvait pas.
Il était confronté à deux géantes psychopathes qui exigeaient qu’il retape un patient gravement malade parce qu’il avait un rêve à réaliser !
Son dossier médical ne lui laissait aucune chance, son état se dégradait et la seule solution était de forcer les doses prescrites et de lui imposer du repos.
Il les appela pour leur annoncer son diagnostic avec infiniment de précautions :
- Je ne peux malheureusement pas vous guérir mais je vais augmenter les doses qui vous avaient été prescrites, cependant vous devez surtout vous reposer.
Il termina sans conviction :
- Vous pourrez peut être gagner quelques mois !
Tous les trois se retirèrent à son grand soulagement mais il crut défaillir en voyant la géante revenir à l’accueil. Elle tenait une liasse de billets qu’elle balança sur le bureau de la secrétaire :
- C’est pour les dégâts vieille punaise.
Elles avaient exigé que Maurice récupère en dormant quelques heures dans la caravane sur une aire de repos et avaient ensuite roulé tranquillement pour arriver vers 19 h au village de Manuel qui était situé à quelques kilomètres dans la campagne au nord de Burgos.
C’était une ancienne ferme à l’entrée du village avec une grande cour entourée par l’habitation et deux hangars éclairés d’une douce lumière ocre de fin de journée. Une table autour de laquelle plusieurs personnes prenaient l’apéritif était dressée devant le corps de ferme.
Maurice pénétra dans l’enceinte sous les hourras des invités comme un empereur romain dirigeant son char. Il coupa le contact de sa voiture et Manuel se dirigea vers lui, les bras ouverts pour l’embrasser suivis par tous ses autres invités conviés à célébrer la visite du meilleur copain de leur pote. Il avait préparé un agneau grillé et invité la moitié du village.
Un joyeux brouhaha l’entourait qui retomba instantanément quand les deux walkyries sortirent de la caravane. L’apparition de ces deux géantes sculpturales frappa les convives de stupeur.
Tous les regards se tournèrent vers Maurice attendant une explication.
Il éclata de rire :
- Ce sont Gudrun et Brunnehilde, mes amies de covoiturage qui m’accompagnent jusqu’au Portugal. Elles viennent du grand nord.
Les deux déesses s’efforcèrent de sourire et saluèrent l’assemblée d’un geste de la main.
Maria, la femme de Manuel se crut dans l’obligation de les inviter à se joindre à eux.
Elles tentèrent de décliner l’invitation en déclarant qu’elles ne voulaient pas s’imposer dans une fête d’amis et qu’elles avaient prévu de dîner dans la caravane. Maria insista par politesse mais surtout Maurice leur fit comprendre d’ un signe de la tête qu’il convenait d’accepter.
Cette situation était délicate car elles devaient à tout prix préserver le secret de leur mission et donc éviter de parler d’elles ce que Brunnehilde rappela discrètement à Gudrun qui avait tendance à être un peu exubérante.
Finalement elles acceptèrent l’invitation et Maria les conduisit au buffet d’apéritifs.
En quelques secondes elles furent entourées par une nuée de mâles qui avaient abandonné leurs femmes qui s’étaient réunies dans un coin de la cour pour déblatérer sur les deux nouvelles. Tous faisaient le beau et se précipitaient pour leur offrir un verre de zurracapote, l’apéritif local fabriqué avec du vin mélangé avec des fruits fermentés parfumé à la cannelle.
Garcia, le gendre de Manuel qui avait repris l’exploitation, le play boy local gominé et niais, s’était littéralement collé à Gudrun accompagné de deux autres fanfarons locaux. Elle faisait mine de s’intéresser à leur conversation débilitante sur leurs clubs de football respectifs pendant que Brunnehilde plus maline avait rejoint le groupe des femmes qui lui expliquaient les recettes de cuisine locale.
Après un très long apéritif Maria tapa dans une cloche pour signaler que la repas était prêt invitant les convives à s’asseoir à la table des festivités. Aucun plan de table n’était prévu. Les walkyries s’étaient discrètement assises au bout des tréteaux mais elles furent immédiatement cernées par les coqs de l’assistance. Garcia avait réussi à s’assoir à côté de Gudrun négligeant les regards furieux que lui adressait sa femme Estela.
On servit à chacun une assiette copieuse de grillade d’agneau mais les deux filles qui ne connaissaient pas cette viande étaient écœurées par sa forte odeur et n’y avait pas touché. La femme de Garcia les interpella perfidement :
- Vous n’aimez pas la cuisine de Maria ?
Elles furent désarçonnées par cette question et Maurice vint à leur secours :
- Elles viennent d’un pays dans lequel les habitants ne mangent que du sanglier ou du porc.
La réponse convint à tout le monde d’autant plus que Brunnehilde ajouta qu’elles avaient adoré les apéritifs au jambon ce qui flatta Manuel qui proclama :
- Nous le fabriquons nous même avec la viande des porcs que nous élevons dans la porcherie qui est derrière la grange.
La tension retomba et le repas se poursuivit joyeusement.
Cependant Brunnehilde surveillait discrètement sa sœur qui était de plus en plus exubérante pendant que Garcia en profitait pour remplir son verre dès qu’il était vide. Il se rapprochait d’elle, parlait très fort en se vantant d’être le plus riche du village. Il se croyait irrésistible et tenta de glisser furtivement sa main sur la cuisse de sa voisine mais elle lui saisit le poignet avec une telle force qu’il poussa un cri de douleur qu’il expliqua aussitôt par un choc maladroit contre le coin de la table.
Furieux de sa mésaventure il décida de se venger en l’assaillant de questions. Il présentait que ces deux pimbêches dissimulaient leur personnalité et il avait bien l’intention de les mettre en difficulté pour leur démontrer ce qu’il coûtait de se refuser à lui. Il la bombarda de questions auxquelles la walkyrie peu habituée à la rhétorique refusa de répondre. Tous les convives s’étaient tus et écoutaient avec attention. Gudrun était en difficulté et l’ignoble Garcia se leva et déclama en se prenant pour un tribun :
- Nous vous avons invitées et accueillies parmi nous, vous dormirez dans nôtre ferme et vous refusez de vous présenter comme si vous aviez des choses pas claires à nous cacher. Vous êtes peut être des criminelles et je me demande s’il ne serait pas plus prudent d’appeler les flics !
Les autres convives étaient perplexes. Brunnehilde avait compris que l'imbécillité de ce coq risquait de compromettre leur mission qui devait rester secrète et qu’elles devraient disparaître et retourner au walhalla si ce crétin appelait les gendarmes.
Elle prit la situation en main :
- Nous sommes des championnes de tir à l’arc en tournée de compétition et nous en profitons pour prendre des vacances au Portugal. Gudrun ne vous a pas répondu parce qu’il nous n’avons pas l’habitude de telles conversations dans notre pays où il est recommandé d’être discret pour tout ce qui concerne notre sphère privée et professionnelle.
Garcia fut décontenancé pendant quelques instants mais il se ressaisît en éructant :
- C’est un mensonge, prouves ce que tu dis
- D’accord, répondit calmement Brunnehilde qui récupéra son arc et son carquois dans le coffre de la voiture.
Les invités étaient médusés.
Brunnehilde prit la parole :
- Gudrun, tu vas ramasser une pomme sur la table, la planter dans une fourchette et te placer à 20 mètres au fond de la cour sous le projecteur.
Puis elle d’adressa à son public :
- Gudrun va écarter le bras en tenant la fourchette et je vais traverser la pomme avec une flèche
Les invités s’étaient tous levés un peu comme s’ils étaient au cirque. Gudrun s’était placée à l’endroit indiqué et Brunnehilde avait tiré à une vitesse incroyable presque sans viser traversant la pomme et emportant la fourchette.
Tous les convives avaient applaudi et l’affaire aurait pu s’arrêter là, mais une walkyrie n’abandonnait jamais un combat sans achever son adversaire et elle avait décidé de punir ce fanfaron de Garcia.
Elle se tourna vers le public :
- Je vous remercie de vos applaudissements et maintenant je vais vous proposer un jeu que nous pratiquons chez nous et qui s’appelle le jeu des braves. Celui qui veut prouver son courage se place au même endroit que Gudrun mais avec une pomme ou un autre fruit sur la tête que je dois transpercer avec une flèche. Je ne rate quasiment jamais une cible fixe à cette distance. Il faut déjà être courageux pour tenter le défi mais il faut encore plus de bravoure pour éviter de bouger pendant que je vise car le mouvement pourrait me faire rater la pomme et....
Elle resta silencieuse mais tout monde imagina la suite .
Puis elle se tourna vers l’assemblée pour constater qu’aucun volontaire ne s’était manifesté ce qui lui permit de s’adresser à Garcia :
- Tu t’es vanté toute la soirée alors je crois que le moment est venu de prouver ta bravoure !
Celui-ci était tétanisé, ne répondait pas et faisait semblant de regarder ses chaussures.
Mais la walkyrie ne le lâchait pas. Elle s’approcha de lui, lui prit le menton pour bien le regarder dans les yeux puis se recula sur l’aire de tir et lui dit :
- Je t’attends
Mais il avait tourné le dos et se dirigeait penaud vers les toilettes. Un murmure de réprobation parcourut l’assemblée et Brunnehilde rangeait son arme quand elle entendit la petite voix féminine de la femme de Garcia:
- Moi je relève le défi !
La walkyrie lui répliqua vivement :
- Les femmes n’ont pas besoin de prouver leur courage
Mais elle répondit :
- Mais moi je veux sauver l’honneur de ma famille.
La walkyrie se rapprocha de ce petit bout de femme toute mignonne qui devait mesurer 1,60 m avec de grands yeux marrons.
Elle se pencha vers lui pour lui parler à l’oreille :
- N’ai pas peur, choisis en grosse pomme, mets-toi calmement en place et respire profondément. Quand tu seras prête, fais-moi un signe du pouce et tout se passera bien.
Brunnehilde se sentit envahie d’admiration pour elle mais également d’un nouveau sentiment qu’elle découvrait depuis le début de son voyage avec Maurice, cette pulsion qui la poussait quelquefois vers les autres pour les aider et que l’on pourrait qualifier de bienveillance .
Estela se dirigea calmement vers la table, choisit une pomme, rejoignit sa place dans la cour sous le projecteur et posa le fruit sur le crâne.
La walkyrie attendit avec anxiété qu’elle lève le pouce car bien des candidats s’étaient dégonflés au moment de déclencher le tir .
Mais elle la regarda droit dans les yeux et leva le pouce sans hésiter.
La scène de cette femme au fond d’une cour de ferme avec une pomme sur le crâne éclairée par un projecteur et visée par une archère était irréelle et explique sans doute la raison pour laquelle personne n’avait réagi pour dissuader Estela puisque chacun croyait rêver.
Brunnehilde décocha sa flèche et traversa la pomme. Cependant au lieu de ranger professionnellement son arc comme d’habitude elle se précipita vers Estela pour l’embrasser. Les invités se levèrent pour l’applaudir et cette femme humiliée par son mari au cours de la soirée regagna sa place comme une reine sous les regards admiratifs de toute sa famille et tout particulièrement celui de Manuel qui en avait les larmes aux yeux.
C’était la fin du repas et les walkyries prient congés de l’assistance en s’excusant auprès de Manuel de cet incident mais à leur grande surprise il les embrassa chaleureusement en les remerciant d’avoir corrigé son insupportable gendre et d’avoir redonné sa place à sa fille.
Avant de partir, elles indiquèrent qu’elles s’absenteraient le lendemain pour les laisser entre eux et pour visiter Burgos pendant que Maurice se reposerait. Estela proposa de les accompagner, ce qu’elles acceptèrent avec joie.




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