Tisiphone est amoureuse. Chapitre 21 : L’addition
- StanislasMleski
- 23 déc. 2021
- 25 min de lecture

L’enfer ne ressemble pas aux descriptions qu’en font les écrivains. Point de monstres ni d’instruments de torture actionnés par des diablotins sanguinaires. Non, c’est pire, le damné est enfermé seul dans une cage, confronté à lui-même pour l’éternité.
Le jugement dernier est rendu très rapidement Chaque défunt attend debout devant deux portes pendant que la caméra à reconnaissance faciale l’identifie pour qu’il soit évalué par le logiciel Hadès qui répertorie toutes ses actions depuis sa naissance. Chacune d’entre elles est codée et affectée d’un coefficient attribuant des points négatifs ou positifs. Le verdict est rendu en quelques secondes. Un résultat positif et c’est la porte du paradis qui s’ouvre, un négatif et c’est celle de l’enfer. Le condamné s’engouffre alors dans les ténèbres et dévale dans un vertigineux couloir métallique jusqu’à une pièce dont la porte se renferme sur lui et déclenche des lumières aveuglantes éclairant violemment le local. Les lasers pénètrent dans le cerveau des damnés pour y effacer tous les bons souvenirs et ne conserver que leurs cauchemars. L’opération terminée le portail s’ouvre et le malheureux glisse pendant plusieurs heures dans le boyau métallique jusqu’au moment où une porte s’ouvre devant lui qui est celle de sa cellule éternelle. Elle fait tout juste les dimensions d’un homme de telle sorte que le prisonnier reste debout les bras collés au corps et le visage écrasé contre la vitre blindée de sa cellule.
Le gouffre sans fond contient des milliards de boîtes bien alignées les unes contre les autres mais malgré cette multitude de pénitents, le silence de la mort règne dans cet univers des profondeurs car les hurlements de souffrance des damnés sont contenus par l’isolation de leur cage. Les lieux sont gardés par de gigantesques corbeaux qu’il est interdit de regarder sous peine de se faire crever les yeux. De temps en temps, ces ignobles oiseaux viennent chercher un damné pour servir dans les mines de l’enfer quand c’est un homme ou pour rejoindre le harem du maître des Ténèbres quand c’est une très jolie morte.
Le soleil était si éblouissant qu’il blanchissait les pierres du temple du dieu des origines dissimulé dans la montagne de Delphes. Il y avait convoqué d’urgence les trois dieux qui se partageaient l’univers, Zeus le monde des vivants, Hadès celui des morts et Poséidon l’univers aquatique. Les trois frères se disputaient comme à chaque rencontre car ils étaient jaloux les uns des autres. Poséidon considérait que son sort était moins enviable que celui de ses deux frères et réclamait une compensation :
- Zeus a le prestige, toi Hadès la fortune de tes mines alors que moi je ne possède que de l’eau salée.
- Mais tu as le bleu de la mer, les fonds marins et surtout les sirènes, rétorqua le dieu des Ténèbres.
- Oui mais elles sont inbaisables parce qu’elles sentent le poisson ! s’exclama Poséidon dépité.
Leur conversation fut interrompue par un grondement terrifiant suivi d’une épaisse fumée blanche qui s’échappait d’un rocher et qui recouvrait toute la montagne. C’était le dieu primordial qui les interpella d’une voix venue du fond des âges qui faisait trembler les arbres :
- Je ne vous ai pas réunis pour écouter vos disputes mais parce que nous sommes confrontés à une difficulté qui remet en cause le fonctionnement de l’univers. Le cours du destin a été modifié.
Zeus bondit :
- Mais c’est impossible, la destinée est immuable.
- Oui reprit le dieu, mais l’informaticien universel a détecté une intrusion dans le logiciel sans pouvoir déterminer ni son origine ni ses conséquences. Or la moindre modification même la plus minime est susceptible de perturber l’équilibre du futur. Les forces des origines exigent que le changement frauduleux soit identifié et annulé pour que le cours programmé de la vie soit rétabli.
Les trois frères acquiescèrent avant que le dieu primordial ne déclare :
- Je vous charge de démasquer le coupable et de découvrir la supercherie.
Ils s’apprêtaient à lui répondre qu’ils se sentaient incapables de remplir cette mission mais il les devança :
- Et je vous accorde un mois pour réussir sinon je vous remplace tous les trois.
Et il ajouta :
- Ce ne sont pas les candidats qui manquent !
Puis le nuage disparut, aspiré par les entrailles de la Terre.
Les trois dieux perplexes restèrent silencieux pendant de lourdes secondes avant que Zeus ne se décide à prendre la parole :
- Eh bien nous sommes dans la merde : soit nous résolvons cette énigme, mais comment ? soit nous sommes destitués.
Hadès l’interrompit :
- Essayons de raisonner et de mener une enquête sérieuse pour sauver notre tête. Commençons par interroger les Moires qui sont les gardiennes du destin et ne perdons pas de temps. Je les convoque immédiatement.
Les trois sœurs avaient tout abandonné pour se précipiter chez le dieu des Ténèbres. Elles avaient même perdu quelques serpents dans la précipitation et paraissaient décoiffées et hirsutes. Elles connaissaient l’objet de leur audition. Atropos s’exprima au nom du trio afin de se décharger de toute responsabilité, comme tout bon fonctionnaire, même employé divin :
- Nous avons été informées du problème mais nous n’avons aucune explication. Nous avons fidèlement exécuté notre mission et nous ne sommes pas impliquées dans le piratage de ce logiciel réputé inviolable.
Elles étaient si butées et réfugiées dans leurs certitudes qu’Hadès les congédia d’un geste agacé de la main puis constata :
- Il n’y a rien à tirer d’elles.
- Mais que faire ? s’interrogea Poséidon.
- Il faut recourir à un professionnel des enquêtes, répondit Zeus.
Les trois dieux observèrent quelques minutes de réflexion puis concédèrent que c’était la seule solution mais à condition de trouver un enquêteur susceptible de mener à bien sa mission, ce qui les jeta dans l’embarras jusqu’au moment où Hadès eut une idée :
- Je crois que j’en ai touché un il y a quelques jours. Comme il est récent, il doit être encore frais et utile.
- Bon d’accord, reprit Zeus, mais il faut qu’il accepte.
- Je lui offrirai une place au paradis sur mon quota personnel, aucun damné ne peut décliner une telle offre.
- Il te reste encore des places sur ta réserve personnelle ! s’exclama Poséidon, moi j’ai tout dépensé depuis plusieurs siècles et j’ai offert la dernière au commandant Cousteau.
- Moi j’ai consommé tous mes tickets pour les philosophes de l’École d’Athènes, déplora Zeus.
- Parce que tu aimes la philosophie ? l’interpella son frère avec une pointe d’ironie.
- Non, c’est Héra qui lit toutes ces conneries et qui a insisté.
- Moi, il m’en reste une, j’ai dépensé les autres sur injonction de l’être primordial car je n’aime personne, répondit le dieu des Ténèbres.
Les trois grands dieux se quittèrent après qu’Hadès leur eut promis de les informer de l’évolution de la situation.
Les souffrances des damnés sont ininterrompues car il n’y a pas de sommeil en enfer. Bernard ressassait en boucle tous ses comportements prohibés et honteux de son enfance quand il volait les bonbons dans la chambre de sa petite sœur jusqu’aux derniers mois de sa vie et à la trahison de la mémoire de Thérèse. Il était pour l’éternité enfermé avec sa conscience qui était le plus sévère des juges et le pire des tortionnaires. Il se remémorait l’épisode peu glorieux de sa tricherie au bac quand un énorme corbeau surgit dans sa cage et l’assomma d’un coup de bec avant de le prendre dans ses griffes pour l’emmener vers la surface. Il se réveilla la tête en sang, allongé sur le marbre noir d’une pièce sombre au fond de laquelle un homme habillé d’un costume foncé trônait sur un fauteuil en or. L’homme lui adressa la parole :
- Je suis Hadès, le dieu des Enfers et je t’ai extrait de ta cellule pour te confier une mission qui pourrait te permettre de rejoindre le paradis si tu la mènes à bien.
Bernard le regarda droit dans les yeux avant de répondre fermement :
- Ça ne m’intéresse pas.
Le dieu, estomaqué par cette réponse d’un damné qui refusait un service au maître des Ténèbres se leva de son trône et se transforma sous l’effet de la colère en monstre hideux prêt à le déchirer et à propulser ses restes aux quatre coins de l’univers des horreurs.
Mais il reprit rapidement ses esprits car il avait besoin de lui et ne disposait pas de solution de remplacement. Il s’assit et respira profondément le temps de reprendre son aspect initial ainsi que son calme pour tenter de convaincre son impudent sujet. Mais comment y parvenir quand la menace n’avait aucune prise sur un damné à qui rien de pire ne pouvait arriver que d’être en enfer ? Aussi se décida-t-il à parlementer :
- Je ne comprends pas ta réponse car depuis la naissance du temps personne n’a jamais refusé de quitter les Enfers pour aller sur les Champs Élyséens.
- Je sais, mais pour moi il n’y a pas de paradis sans elle, soupira Bernard.
Hadès consulta rapidement le dossier de Bernard :
- Tu évoques cette journaliste qui t’a humilié et poussé à ce suicide qui t’a mené en enfer ?
- Oui !
Le dieu était désarçonné par cette attitude du condamné qui n’entrait pas dans ses schémas de pensée. Il devait gagner du temps pour trouver une faille dans son incroyable détermination. Bernard l’observait sans bouger et lui apparaissait comme un bloc en granit inébranlable. C’est alors qu’il eut l’idée d’éditer la fiche d’Adèle et de s’adresser à lui en la brandissant :
- J’ai sous les yeux le rapport qui la concerne.
L’attitude de son interlocuteur se modifia instantanément et il sentit le granit se fissurer.
Aussi poursuivit-il :
- Elle va nous rejoindre bientôt car elle va mourir dans quelques semaines et elle a un total négatif, ce qui signifie qu’elle est condamnée à l’enfer.
Bernard était métamorphosé, toutes ses défenses avaient explosé et il s’était effondré sur lui-même. Hadès sentant qu’il le tenait enfin lui laissa quelques secondes de réflexion. S’étant ressaisi, il reprit la parole :
- J’accepte mais je veux deux places au paradis, une pour elle et une pour moi.
- Il n’y en a qu’une, répliqua sèchement le dieu agacé par ce marchandage.
L’inspecteur réfléchit quelques instants avant de déclarer d’une voix grave :
- Je lui laisse.
Le maître des Ténèbres, impressionné par l’ampleur du sacrifice, ne put s’empêcher de commenter :
- Je ne te comprends pas, je te propose le paradis, ce qui est inespéré pour un damné et tu y renonces au profit d’une femme qui s’est servie de toi en te bafouant et en t’humiliant au point de te conduire au suicide.
- Oui c’est vrai, mais le souvenir d’elle m’inspire cette abnégation, répondit Bernard tristement.
- L’amour vous rend fous, commenta Hadès.
L’inspecteur agacé par ses observations, changea de conversation et lui demanda de préciser le contenu de la mission qu’il lui confiait. Celui-ci prit un ton de circonstance :
- Nous sommes confrontés à une situation grave et inédite. Le grand informaticien a détecté une intrusion dans le programme qui gère le destin mais il est incapable de l’identifier et d’en connaître les conséquences. Or l’avenir repose sur un équilibre précaire qui est le résultat d’innombrables interactions qui s’imbriquent harmonieusement les unes dans les autres. Un seul détail peut ébranler tout l’édifice et c’est la raison pour laquelle le dieu primordial nous a chargés d’élucider rapidement cette affaire. La stabilité du futur est entre tes mains !
- Rien que ça, maugréa l’inspecteur avant de demander :
- Quels seront les moyens dont je disposerai ?
- Tous les moyens, répondit aussitôt Hadès et je t’accompagnerai.
- Non je préfère travailler seul, répliqua sèchement Bernard.
Ce damné commençait à exaspérer le dieu qui réussit malgré tout à se calmer pour préserver les chances de succès de la mission. Il le congédia en lui demandant :
- Tu n’as pas d’autres questions ?
Bernard qui ne risquait rien de pire que ce qu’il vivait se permit un incroyable caprice qu’aucun être humain ne se serait autorisé avec un dieu aussi terrifiant :
- Je veux un commissariat !
- Mais pourquoi ? s’étrangla le dieu.
- Parce qu’il n’y a pas de bonne enquête sans commissariat et cellules de garde à vue crasseuses.
- Bon d’accord, concéda Hadès qui créa un bâtiment d’un geste de la main.
- Ça te convient ? l’interrogea-t-il fier de cette démonstration de puissance.
- Il manque quelque chose !
- Quoi ? vociféra le dieu furieux.
L’inspecteur déclara sans se décontenancer :
- Un annuaire de la ville de Paris.
- Mais comment veux-tu que je trouve un annuaire de la ville de Paris ? questionna Hadès à bout de nerfs.
Le flic lui répondit avec désinvolture :
- Débrouille-toi, c’est toi le dieu.
C’en était trop pour le roi des Ténèbres qui de rage se transforma en brasier en hurlant d’une voix qui faisait trembler les murs :
- Je ne supporte plus son arrogance, je vais pulvériser ce damné impudent.
Avant de se calmer, rattrapé par la raison et d’abdiquer :
- Bon je vais demander à mon assistant de te trouver ce bouquin.
Les trois Moires étaient vexées d’être convoquées par un simple damné même investi des pouvoirs d’Hadès. Atropos était la plus agressive avec de la bave au bord des lèvres. Bernard leur ordonna de s’assoir et commença son exposé :
- Vous savez comme moi que le logiciel du destin a été piraté. Nous savons que cette intrusion a eu lieu il y a quelques semaines mais nous ignorons quelles données ont été modifiées. Le dieu des origines nous a ordonné de détecter les informations piratées et de restaurer la situation afin de rétablir l’équilibre universel.
- Je ne vois pas en quoi ça nous concerne, l’interrompit Atropos.
- Vous êtes impliquées parce que vous êtes les gardiennes du logiciel et que vous en possédez la copie de sauvegarde, répondit le flic en haussant le ton.
Elle se leva immédiatement toutes griffes dehors :
- Tu ne vas quand même pas nous soupçonner, misérable damné !
Avec une incroyable vitesse due à des années de pratique, l’inspecteur saisit l’annuaire téléphonique et l’écrasa sur la tête d’Atropos, réduisant en bouillie tous les serpents de sa chevelure. Il s’ensuivit un silence de quelques secondes pendant lequel chacun des protagonistes évaluait la suite des événements. Les deux sœurs s’étaient mises en position d’attaque persuadées qu’elles allaient le lacérer de leurs ongles et le découper en tranches avec leurs faux.
Atropos était effondrée sur sa chaise, les cheveux collés par la chair éclatée des reptiles dont une partie lui dégoulinait sur le visage. La tension était à son paroxysme mais contrairement aux prévisions, elle éclata en sanglots en se lamentant :
- Tous mes serpents sont morts, je les aimais et ils m’accompagnaient depuis la nuit des temps. Je les soignais comme des enfants, veillant tous les jours à leur fournir des souris bien fraîches pour leur assurer une alimentation équilibrée. Maintenant je me sens seule et abandonnée.
Et elle ajouta après une nouvelle crise de larmes :
- Et en plus je suis défigurée et j’ai perdu les attributs de ma puissance.
Bernard qui ne voulait pas perdre de temps en jérémiades reprit la situation en mains :
- Bon ça suffit, tes deux sœurs vont te donner chacune une partie de leurs reptiles et tu pourras reconstituer ton élevage.
Il s’interrompit avant de reprendre :
-À moins qu’elles ne soient aussi rétives que toi et que j’ai besoin de réutiliser l’annuaire.
- Non, non s’exclamèrent-elles en chœur, nous allons collaborer.
Le flic sourit en constatant qu’elles étaient matées.
Clotho se leva et retira deux serpents de sa chevelure pour les donner affectueusement à sa sœur en précisant :
- Ce sont mes deux plus beaux !
Lachésis cherchait également une femelle dans la poignée de reptiles qu’elle avait retirés de son crâne pour la donner à sa sœur afin qu’elle reconstitue son élevage.
Atropos les embrassa, sécha ses larmes et déclara :
- Nous vous écoutons monsieur l’inspecteur.
Bernard tentait d’analyser les 53 pages de déposition des trois Moires. Il leur avait demandé de se remémorer en détail tous les événements de ces dernières semaines et elles avaient collaboré de bonne grâce sans omettre de citer les comportements répréhensibles dus à leur goût pour le Gewurztraminer et les fondants au chocolat.
Il était parti de l’idée que les crimes étaient toujours entourés par des comportements ou des éléments inhabituels par rapport au mode de vie coutumier des personnes suspectées ou de leur environnement proche et recherchait les événements discordants du parcours des trois déesses pendant cette période. Il en avait identifié trois : les visites surprenantes de leur cousine Tisiphone qu’elles n’avaient plus rencontrée depuis des millénaires et dont la description ressemblait à celle de la fameuse Yvonne des « Quetschiers », l’intrusion des voyous pendant qu’elle se baignait dans la piscine de déchets, l’incendie de l’usine sans doute causé par ces mêmes sauvageons. Les deuxième et troisième événements étaient reliés entre eux par la présence des mêmes vauriens. La visite de la cousine semblait sans rapport mais le flair de l’inspecteur lui disait le contraire.
Le grand registre des morts lui avait révélé que les trois ados étaient arrivés le jour de l’incendie dans le monde des morts et qu’ils avaient été envoyés directement dans l’enfer des mineurs. L’inspecteur s’y était immédiatement rendu avec l’autorisation d’Hadès. C’était un enfer très différent de celui des adultes. Les enfants étaient dans des salles de classe de 20 élèves où ils apprenaient à lire, écrire, compter et aussi à honorer les dieux sous la direction d’un instituteur pédophile. Les mauvais élèves étaient punis et livrés à la prédation sexuelle de leur enseignant ou pire enfermés dans une remise dans laquelle des haut-parleurs diffusaient un livre audio de Balzac ou de Proust. À dix-huit ans, les meilleurs avaient le droit de rejoindre le paradis, mais uniquement comme serviteurs et les autres étaient jetés dans les mines d’Hadès. Bien entendu les trois sauvageons étaient punis, attachés au radiateur avec un casque sur la tête qui diffusait un livre audio de « À la recherche du temps perdu ». Ils avaient tous les trois les yeux exorbités et se tordaient de douleur. Le pédophile visqueux qui l’avait accueilli se fendit d’un sourire fourbe qui dévoilait ses dents gâtées :
- Ces trois garnements sont ingérables, ils préfèrent les punitions au travail et j’ai demandé qu’ils soient envoyés dans les mines avant leurs dix-huit ans.
- En attendant je veux les interroger, l’interrompit le flic.
L’instituteur les avait installés dans son bureau. Ils étaient restés silencieux mais s’étaient précipités vers Bernard aussitôt que leur professeur avait quitté la pièce, parlant tous les trois en même temps :
- Eh monsieur le flic, c’est un pervers, on veut déposer plainte.
Bernard éclata de rire :
- Je vous rappelle que vous êtes en enfer. Ici plus d’éducateurs, de juges ou même de collègues pour vous protéger malgré vos outrages et votre comportement criminel. C’est trop tard.
À ces mots, ils fondirent en larmes, laissant poindre l’adolescent sous la carapace du voyou :
- Mais on veut sortir d’ici.
- C’est impossible, répondit fermement Bernard, vous devez payer l’addition.
La constatation du caractère inéluctable et perpétuel de leur peine transforma leur désespoir en agressivité et Kevin hurla :
- Qu’est-ce que vous voulez ?
- Je veux que vous me parliez de ce qui s’est passé à l’usine.
- Et on y gagne quoi ?
- Rien, mais vous vous contribuerez à la vérité.
Ils éclatèrent de rire et l’un d’entre eux s’exclama :
- Alors va te faire foutre !
Et ils tournèrent les talons pour regagner la salle de classe.
L’inspecteur savait que son enquête était compromise car les trois vauriens étaient au cœur de l’intrigue et qu’il devait absolument obtenir leur témoignage. Il prit aussitôt contact avec Hadès pour lui exposer la situation et essayer de lui tirer une récompense susceptible de les inciter à dire la vérité. Le maître des Ténèbres se montra d’emblée réticent rappelant que même un dieu ne pouvait pas modifier les règles du destin mais il consentit un geste devant l’ampleur de l’enjeu :
- Je peux fermer les yeux sur leur comportement en classe de rédemption et considérer qu’ils ont le droit de rejoindre le paradis comme esclaves.
Bernard poussa un soupir de soulagement avant qu’il ne précise :
- Mais ce ne sera que sous condition car je ne veux pas qu’ils me foutent le bordel au paradis. Dis-leur que je les renverrai en enfer à la moindre incartade.
Ils avaient accepté de collaborer car même si la perspective d’être esclaves au paradis ne les enchantait guère, elle était préférable au cauchemar des enfers. Ils avaient tout révélé sans réticence en quelques minutes : l’apparition de la mamie dealeuse, le vol du CD dans la robe d’Atropos et l’incendie de l’usine. La logique implacable de cette machination machiavélique lui apparaissait avec évidence ; c’est la sauvegarde qui avait été piratée et l’incendie avait été provoqué pour détruire l’original et le remplacer par la copie trafiquée dans le système informatique de gestion du destin. Il restait cependant à identifier les données contrefaites et à trouver le mobile. Pour ce qui concernait la responsable, il avait sa petite idée. La ressemblance avec celle qu’il avait rencontrée à l’EHPAD des « Quetschiers » était troublante mais il n’avait aucune preuve et il ignorait toujours qui se cachait derrière ce personnage. Il devait à tout prix retrouver l’informaticien qui avait truqué le système, mais comment ?
L’enquête piétinait depuis l’interrogatoire des trois adolescents. Le compte à rebours s’égrenait inéluctablement et les trois grands dieux s’affolaient. Ils l’avaient convoqué pour une réunion d’urgence dans la grande salle de l’Olympe et trônaient tous les trois sur une estrade qui leur permettait de dominer toute la salle. Bernard paraissait minuscule perdu dans l’immense salle des audiences officielles. Ils étaient plus inquiets qu’ils ne l’avaient jamais été jusqu’à présent en gérant le monde parce que cette fois ils étaient concernés personnellement et qu’ils risquaient de perdre leur si cher pouvoir.
Zeus furieux prit la parole :
- Il ne nous reste plus que quinze jours et tu n’as toujours pas trouvé le pirate.
Le flic agacé par ce reproche injuste lui répondit avec ironie :
- Les damnés ne font pas de miracles.
Cette réplique rendit Hadès fou furieux qui l’interpella en crachant des flammes et en touchant son point sensible :
- Tu feras moins le malin quand ton Adèle rejoindra l’enfer et que je la prendrai dans mon harem, espèce de…
Sa phrase fut interrompue par un fracas terrifiant qui ébranla toute la salle pendant qu’un épais nuage l’envahissait. C’était le dieu des origines. Sa voix était si grave et puissante qu’elle faisait trembler les objets qui décoraient les murs :
- Vous vous disputez encore, bande d’incapables, alors qu’il ne vous reste plus que quinze jours. J’en ai tellement marre de vous que j’espère que vous échouerez pour pouvoir vous virer.
- Et qui nous remplacerait ? l’interpella Zeus avec l’arrogance de celui qui se croit indispensable.
- Personne, répondit l’être primordial.
- Personne ! s’exclamèrent en chœur les trois frères.
- Oui, je reprends tout en main moi-même.
- Mais tu n’y arriveras pas, il y a le ciel, la mer et les enfers...
Il les interrompit :
- Si parce que je suis en train de former un assistant, un petit jeune qui est né il y a quelques semaines à Bethléem !
Et le nuage disparut, accompagné d’un rire effrayant dont l’écho se répercuta jusque dans la vallée de l’Olympe. Les dieux estomaqués restèrent silencieux jusqu’à ce que le maître des Ténèbres ne reprenne la parole en s’adressant à l’inspecteur :
- Il ne plaisantait pas. Tu dois réussir sinon ton Adèle vivra un enfer en enfer !
- Je ferai tout ce qui sera possible, répondit le flic.
Et les trois dieux s’évanouirent sur ces paroles menaçantes.
Paradoxalement Bernard se sentait surmotivé par l’enjeu. Pas pour sauver l’univers, ça il s’en foutait, mais pour épargner à Adèle les souffrances de la vengeance d’Hadès. Pourquoi se sacrifier pour elle ? Elle lui avait craché au visage mais il était toujours imprégné d’elle et dépendant de ce rêve d’amour qui l’avait enchanté. Alors il avait décidé de mobiliser toutes ses ressources pour tenter de la sauver.
Il ne disposait d’aucun indice pour orienter sa recherche : pas d’élément matériel, pas de témoin, rien. Il ne lui restait qu’à échafauder une hypothèse logique en espérant qu’elle serait la bonne. Il savait qu’il n’avait qu’une cartouche et qu’il n’avait pas le droit de se tromper. Il avait réfléchi toute la nuit en examinant les scénarios qui lui venaient à l’esprit pour ne conserver que ceux qui s’inscrivaient dans une réalité cohérente, ce qui l’avait conduit aux pistes suivantes qui lui semblaient les plus plausibles :
- le piratage ne pouvait avoir été réalisé que par un informaticien de haut niveau et habitant plutôt dans la région.
- Il avait été éliminé par l’inspiratrice de la fraude aussitôt le forfait accompli.
Certes, d’autres hypothèses auraient pu être retenues mais il avait intuitivement privilégié celle-ci. Il ne lui restait plus qu’à mener l’enquête.
Le recoupement des dépositions des Moires et des trois voyous lui permettait de dater le jour de l’incendie de l’usine qui avait permis de la substitution de l’original détruit par la copie piratée. Il en avait déduit que l’exécution de l’informaticien était contemporaine du sinistre.
Il ne restait plus qu’à consulter le grand livre des morts pour les jours qui avaient précédé la destruction de l’usine et d’y rechercher les informaticiens de la région morts pendant cette période.
Il en avait parlé avec Hadès qui avait souscrit avec enthousiasme à son analyse et avait proposé de l’aider à fouiller dans les archives. Ils avaient trouvé deux profils qui correspondaient aux critères et qui étaient tous les deux au paradis. L’un d’entre eux avait été informaticien à la SNCF et l’autre artisan. Hadès avait imprimé leur fiche individuelle pour orienter la recherche.
Le premier avait effectué toute sa carrière à la direction des services informatiques régionaux de la SNCF. Il avait rencontré son épouse, contrôleuse de billets, au Noël des cheminots. Ils s’étaient mariés, avaient acheté un pavillon en périphérie et eu deux enfants. Le fils était cadre bancaire et la fille assistante sociale. Ils avaient bénéficié d’une retraite à 52 ans et s’étaient depuis consacrés aux courses, au jardin et aux vacances aux Baléares. Sa philosophie se résumait à un seul mot : les économies. Économies d’argent, mais aussi d’énergie. Il avait transmis des valeurs à ses enfants : travailler, mais jamais plus qu’il ne faut, ne pas se faire remarquer pour éviter les ennuis et choisir une femme plutôt moche pour qu’elle ne vous trompe pas. Il était mort pour les avoir transgressées. Il était décédé un week-end d’une crise cardiaque consécutive à un surmenage pour avoir travaillé 35 heures pendant la semaine.
La fiche synthétique du second était beaucoup moins renseignée. Il était artisan, célibataire et décédé dans des conditions qui n’avaient pas été élucidées. Ils avaient d’emblée privilégié par défaut la piste de l’artisan car ils n’imaginaient pas l’autre homme se lancer dans une telle aventure.
Hadès avait organisé son transfert au paradis avant de le quitter :
- Je n’ai pas le droit d’aller dans les cieux, j’appelle un ange pour qu’il t’y conduise.
- Merci, répondit l’inspecteur mais j’ai une question.
- Laquelle ? demanda le dieu surpris.
- Pourquoi ces deux-là sont-ils allés au paradis ?
Le maître des Ténèbres prit une profonde respiration :
- Parce que la sélection est fondée sur le rapport des actions positives et négatives. Si tu vis comme un mouton, tu ne commettras pas beaucoup d’actes répréhensibles et quelques bonnes actions feront pencher la balance dans le bon sens.
- Et pour l’autre ? l’interrompit Bernard.
- Parce qu’il était célibataire.
- Je ne comprends pas ? s’interrogea Bernard surpris.
- Les célibataires vont souvent au paradis parce qu’ils n’ont pas de femme pour dire du mal d’eux.
Il était arrivé sur les ailes d’un ange qui était venu le chercher aux portes de l’enfer. Celui-ci avait rigolé quand il lui avait donné l’adresse « José - Galaxie de L’Eden » avant de lui expliquer :
- Chez nous chacun construit son paradis avec ses rêves. La plupart des bienheureux ont espéré la richesse et sont comblés d’or. D’autres ont désiré le pouvoir. Ainsi nous comptons parmi nous un ancien président de la république battu qui est devenu dictateur d’une république bananière. Ils sont aussi très nombreux à passer des vacances éternelles avec la femme de leur vie dans un camping de Vendée.
Il était intarissable et passionné par son boulot de guide des félicités. Il y avait aussi le coin des fonctionnaires qui étaient regroupés dans une zone pavillonnaire et dans des bureaux vides équipés de distributeurs de café auprès desquels ils passaient leur journée à se plaindre d’un travail qu’ils ne faisaient pas. Et puis il y avait le paradis de José mais il n’avait pas voulu lui en parler pour lui ménager la surprise.
L’ange l’avait déposé sur un lagon bien entendu paradisiaque. Il faisait très chaud et le costume en laine qu’il portait depuis son enterrement lui collait à la peau alors que du sable rentrait dans ses chaussures. Il avait toujours détesté ça et il choisissait toujours des plages en galets quand il partait en vacances avec Thérèse. Ah, Thérèse et ses petits plats qui l’attendaient au retour de la plage dans la caravane, soigneusement disposés dans des boîtes de Tupperware… Perdu dans ses rêveries il n’avait pas aperçu un groupe de trois vahinés qui s’approchaient.
C’est le son du ukulélé qui avait attiré son attention. Elles étaient à quelques mètres de lui et sa dandinaient au rythme de leur instrument, bronzées souriantes et vêtues d’un minuscule pagne en coton bigarré. La plus grande d’entre elles qui semblait être la chef du groupe s’était dirigée vers lui en brandissant un collier de fleurs qu’elle avait enfilé gracieusement autour de son cou. Elle sentait la vanille et sa peau était douce. Bernard déconcerté avait cru nécessaire de préciser d’un ton bourru convenant à sa mission
- Je suis venu pour interroger José.
La vahiné lui répondit :
- Il le sait et il nous a demandé de t’accueillir.
- Allons-y coupa, l’inspecteur.
- Je t’y conduirai quand tu auras accompli les formalités préalables indispensables.
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et ajouta :
- La première sera de jeter ces vêtements puants et de prendre un bain.
Elle le tira par le bras pendant une dizaine de mètres et le conduisit à une douche installée sous un palmier. Elles se jetèrent toutes les trois sur lui et le déshabillèrent si prestement qu’il se retrouva nu comme un ver presque sans s’en rendre compte. Il voulut protester mais il resta ébahi en constatant qu’elles avaient enlevé leur pagne et qu’elles s’approchaient de lui en rigolant alors que l’une d’entre elles portait un récipient de lait de coco. Il aurait pu refuser et laisser libre cours à son mauvais caractère mais il se résigna, vaincu par leur grâce et leur spontanéité. Elles l’accompagnèrent sous la douche et l’enduisirent délicatement de coco, ce qui provoqua chez lui une érection qui eut pour effet d’entraîner les gloussements ravis de ses trois hôtesses. L’inspecteur avait abandonné toute résistance, subjugué par les vahinés qui l’avaient affublé d’un pagne après lui avoir séché la peau avec des feuilles de palmier. La douche terminée, il reprit ses esprits :
- Maintenant conduisez-moi chez José.
- Nous allons au village mais José veut que tu goûtes une de ses spécialités avant de te recevoir.
- Mais je n’ai pas le temps, s’emporta Bernard.
- José serait vexé si tu refusais et décommanderait le rendez-vous. Ne t’inquiète pas, ce ne sera pas long et personne ne s’en est jamais plaint.
Le village n’était qu’à quelques minutes de marche dans le sable de l’autre côté du lagon protégé, par une dune. II l’aperçut aussitôt, arrivé en haut du monticule de sable. Des maisonnettes identiques étaient implantées selon un plan régulier et un curieux bâtiment qui ressemblait à une noix de coco trônait au centre du village. La chef vahiné expliqua :
- Ce village est le fruit de son imagination. Il n’est habité que par des femmes qui sont toutes le produit de ses rêves. Elles disposent d’une petite maison vitrée et vivent une existence heureuse consacrée au service et au plaisir de notre maître.
- Si je comprends bien, c’est un bordel et lui c’est un mac au paradis, marmonna Bernard.
Les vahinés qui l’avaient entendu s’offusquèrent et la grande répliqua :
- Vous êtes grossier inspecteur. C’est le paradis du sexe de l’amour et du plaisir.
- Bon d’accord, concéda le flic qui voulait éviter de se fâcher avec ses témoins, et c’est quoi ce bâtiment au milieu du village ?
- C’est le vagin ! répondit la chef en se pâmant.
Bernard s’agaçait de ces fantaisies incompréhensibles pour lui mais s’était gardé de tout commentaire pour ne pas froisser ses hôtesses. Il s’était contenté d’un diplomatique « c’est très original » avant de revenir à son sujet :
- Bon, elle est où cette friandise ?
- La friandise, c’est nous répondit une de ses hôtesses en se trémoussant devant lui.
L’inspecteur resta ébahi pendant quelques secondes, ce qui permit à sa guide d’ajouter :
- Tu peux choisir n’importe quelle créature du village, elles sont toutes devant leur vitrine et attendent ton choix.
Il se hasarda à murmurer qu’il n’en avait pas envie car il n’aimait qu’Adèle, ce qui suscita la colère de la vahiné qui se transforma en tigresse :
- Tu as le choix entre les plus belles femmes du monde créées grâce à l’imagination de notre maître et alors que les visiteurs de notre planète reviennent le plus souvent possible pour les déguster, toi tu injuries José en refusant son cadeau.
Bernard comprit aussitôt qu’il n’avait pas le choix et concéda :
- Excuse-moi, j’étais un peu surpris, que dois-je faire ?
- Ah je préfère, reprit la vahiné qui avait retrouvé son sourire.
Elle lui tendit la main :
- Suis-moi dans le village et choisis celle qui te plaît.
Décontenancé, Bernard désigna la première qu’il vit. Son hôtesse glissa « Monsieur est un connaisseur » et le poussa dans la maison de l’élue.
Il en ressortit ébouriffé et hagard. Sa gourmandise s’appelait Brunhilde, le dépassait d’une tête et avait du tempérament. Elle s’était ruée sur lui avec une telle fougue qu’il l’avait repoussée par réflexe, ce qui avait suscité des étincelles dans ses yeux bleus de glace. Elle lui avait lancé avec un accent inimitable :
- Ach, tu veux chouer !
Et elle avait sorti une matraque glissée dans sa cuissarde dont elle avait asséné un grand coup dans le visage du flic qui avait perdu connaissance. Il s’était réveillé nu et attaché aux montants du lit avec des menottes et Brunehilde installée sur lui à califourchon pendant que l’enceinte diffusait à tue-tête la chevauchée des Walkyries. Elle lui dit :
- On va le faire en écoutant les Kamaraden chanter mon histoire.
Puis elle entama une cavalcade sexuelle effrénée et démente qui leur procura un violent plaisir au moment même où les Walkyries arrivaient sur le champ de bataille. Bernard groggy prit une douche et quitta sa gourmandise après avoir décliné son offre de partager une dernière bretzel.
La grande vahiné l’attendait sur le perron de la maisonnette pour le conduire chez José. Ils parcoururent une partie du village en longeant l’artère principale parsemée de maisonnettes derrière la vitre desquelles s’exhibaient des créatures de rêve pour rejoindre le palais de José situé sur une place au centre de l’ensemble. L’inspecteur s’était arrêté quelques secondes pour l’observer et concéder que la ressemblance avec un vagin était stupéfiante. La vahiné avait devancé ses questions :
- José l’a dessiné lui-même. Il représente le vagin parfait. Observe les deux grandes lèvres en granit rouge bombées et parallèles et les petites lèvres bien marquées en marbre rose du Portugal surmontées d’un bow-window qui représente le clitoris.
Bernard fit mine de s’extasier, ce qui contenta son hôtesse qui l’invita à entrer dans le vagin.
Une femme nue, sculpturale comme une heptathlonienne, l’attendait dans l’entrée et le salua avec un immense sourire :
- Je m’appelle Olga et je suis l’assistante de José qui m’a demandé de vous conduire dans le clitoris.
- Dans le clitoris ? répéta le flic interloqué.
- C’est le bureau du maître, précisa-t-elle en rigolant.
Elle le précéda passant devant un ascenseur pour rejoindre des escaliers, ce qui étonna Bernard. Elle devança sa question :
- José veut que ses visiteurs empruntent l’escalier pour leur permettre d’admirer mes fesses pendant la montée mais vous pourrez descendre en ascenseur après votre entretien.
Sans attendre la réponse, elle grimpa prestement les premières marches, suivie à contre-cœur par Bernard. L’édifice avait la hauteur d’un immeuble de six étages et la montée était interminable. Il avait regardé ses chaussures pendant les premières marches mais il avait rapidement levé les yeux pour mieux respirer et tenter de suivre le rythme de l’athlète qui le précédait. Il s’arrêta, essoufflé et gêné pour récupérer et s’en excusa auprès de sa guide qui bonne fille lui proposa de prendre une pause érotique pendant son temps de repos. C’était la phrase de trop qui brisa les barrières de politesse qu’il s’était imposées. Le masque craqua quand il hurla :
- Je n’en ai rien à foutre de ton cul !
Olga offusquée et effrayée s’enfuit en courant pour se réfugier chez son maître. Il parvint épuisé en haut de l’escalier. L’heptathlonienne et un type qui était sans doute l’informaticien l’attendaient les mains sur les hanches et la moue réprobatrice. L’homme l’apostropha :
- Olga m’a relaté les événements de la cage d’escalier et je suis extrêmement vexé. Bernard tenta de minimiser :
- Excusez-moi, je n’ai pas mesuré ce que j’ai dit.
Mais José ne l’entendait pas de cette oreille :
- Ce n’est pas suffisant pour que je te reçoive car tu m’as gravement offensé en injuriant Olga qui est l’expression d’un de mes rêves.
L’inspecteur commençait à paniquer. Il devait sauver l’univers, le temps s’écoulait et son enquête se heurtait à la susceptibilité d’un détraqué sexuel. Il tenta un dernier acte de contrition en déclarant :
- Je suis prêt à tout pour me faire pardonner.
Sa sortie sembla détendre ses deux interlocuteurs qui se parlèrent dans une langue qu’il ne comprenait pas jusqu’à ce que José énonce le verdict :
- Tu devras descendre les escaliers et les remonter avec Olga en lui embrassant les fesses toutes les vingt marches.
Bernard qui n’avait pas le choix accepta cette punition débile et accomplit sa pénitence.
José l’attendait cette fois avec un grand sourire et l’invita à le suivre dans son bureau en vitrage transparent qui donnait l’impression d’être suspendu dans le vide. Bernard prit place sur un fauteuil en forme de fesse alors que José s’était assis derrière une table qui ressemblait à une bite. L’informaticien prit la parole :
- Je répondrai à tes questions quand tu m’auras donné le prénom de la gourmandise que tu as choisie.
- Brunehilde.
Cette réponse suscita une explosion de joie chez son interlocuteur qui sauta sur son bureau pour effectuer deux sauts périlleux avant de regagner sa place sous les yeux médusés de Bernard :
- J’en étais sûr, je l’avais prédit grâce à l’algorithme de comportement que j’ai inventé.
Puis il retrouva son sérieux :
Je vous écoute.
Bernard souffla en priant pour qu’un nouveau caprice ne vienne pas interrompre l’interrogatoire :
- Je n’ai que quelques questions. Avez-vous piraté le logiciel universel ?
- Oui ! répondit avec fierté l’informaticien.
- Quelles données avez-vous modifiées ?
- J’ai interverti deux noms.
L’inspecteur tremblait avant de poser la dernière question dont dépendait le succès de sa mission :
- Vous souvenez-vous de ces deux noms ?
- Pour un peu ! répondit José, ce sont les derniers mots que j’ai enregistrés avant d’exploser.
Quelques interminables secondes s’écoulèrent avant qu’il ne lâche :
- C’étaient Jean Lesonge et Norbert Wursbach.
Bernard qui était aussi impatient d’informer Hadès que de quitter cet univers de détraqués s’éclipsa du bureau de José sans prendre la peine de le saluer et se précipita dans escaliers pour rejoindre son ange voyageur. Il l’attendait sur la piste de l’angeoport en devisant joyeusement avec les trois vahinés. L’inspecteur bondit sut son dos et lui ordonna de décoller, ce qu’il fit aussitôt. Ses trois hôtesses lui envoyèrent des baisers mais il s’accorda le plaisir de leur lancer avec la délicatesse qui le caractérisait :
- Dégagez de ma vue, bande de salopes !
Folles de rage, elles tentèrent de le poursuivre mais en vain car les anges volent plus vite que les rêves.




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